Des plantes pour gérer la pollution des laitiers sidérurgiques

Publié par J-P V, le 31 janvier 2019   2.3k

La thèse de Mathieu SCATTOLIN s’axe autour de l’utilisation de plantes pour stabiliser la pollution d’un ancien site de stockage de métaux à Châteauneuf. Ses premiers résultats sont encourageants et pourraient permettre de gérer la pollution d’anciens sites d’extraction de minerais métalliques, mais aussi de décharges d’usines métallurgiques.

Aujourd’hui en troisième et dernière année de thèse au sein du centre SPIN de l’Ecole de Mines de Saint-Etienne, Mathieu SCATTOLIN axe ses travaux de recherche autour du développement d’un procédé de phytostabilisation des déchets d’aciérie de l’usine ArcelorMittal de Châteauneuf. La phytostabilisation est une technique d’utilisation des plantes qui vise, non pas à dépolluer les sols, mais à stabiliser la pollution pour qu’elle ne se propage pas dans l’environnement. Cette thèse s’inscrit dans le projet plus large HYPASS (HYdrometallurgy and Phytomanagement Approaches for Steel Slag management / Approches hydrométallurgique et de phytomanagement pour la gestion des laitiers sidérurgiques) porté par l’Ecole des Mines de Saint-Etienne et soutenu par l’ANR (Agence Nationale de Recherche). Les laitiers sidérurgiques sont des déchets issus de la métallurgie. A Rive-de-Gier ils sont stockés à mesure que l’acier est produit sous forme de décharge à ciel ouvert et ce pendant plus de 150 ans. Sur le site de Châteauneuf, ce crassier (amoncellement de déchets) représente 500 000 T de matière sur 5 hectares soit environ 7 terrains de football. Ici, le « technosol » contient de nombreux métaux qui sont dangereux même en très faible quantité.

La dispersion des métaux depuis le crassier dans la nature s’effectue selon trois flux. Le premier flux « du haut vers le bas » est créé par l’écoulement de l’eau de pluie qui se charge en éléments métalliques. Le deuxième flux est horizontal et correspond à l’effet du vent et de l’eau qui ruisselle sur le technosol. Enfin, le troisième flux « du bas vers le haut » vient de végétaux qui prélèvent des éléments du sol et les concentrent, ainsi la pollution se disperse lors de la chute de leurs feuilles ou par le biais d’animaux qui les consomment. Aujourd’hui, aucune plante ne pousse sur le crassier car l’eau de pluie n’y est pas retenue. D’autres éléments empêchent également la présence de flore. Le pH du sol est très élevé (le sol est très basique : pH=11) ainsi, les éléments métalliques sont très solubles ce qui est toxique pour les plantes. Par ailleurs, il n’y a pas de matière organique (matière fabriquée par les êtres vivants) pour favoriser la vie des plantes. L’objectif de cette thèse est donc de trouver un moyen de faire pousser des végétaux dans ce milieu afin de retenir l’écoulement d’eau (flux vers le bas), réduire l’effet du vent (flux horizontal) sans pour autant que les plantes absorbent les éléments métalliques (flux vers le haut).

Source : Google Maps, le crassier est identifié en jaune

Un travail réalisé entre 2010 et 2014 par l’équipe du département « Procédés pour l’Environnement et Géoressources » du centre SPIN a montré que l’utilisation de MIATE (Matière d'Intérêt Agronomique issue du Traitement des Eaux/Boues urbaines) comme amendement (terreaux) permettait la culture de plantes sur le site métallurgique. Les plantes choisies font partie de l’environnement locale afin d’éviter l’introduction d’une espèce étrangère invasive qui pourrait représenter un danger pour la faune alentour, le but étant toujours de créer un écosystème en adéquation avec l’environnement immédiat. Le travail de M. Scattolin est maintenant d’étudier l’accumulation d’éléments métalliques par les plantes car l’utilisation de MIATE règle déjà les problèmes de rétention d’eau, de pH élevé et d’apport en déchets organiques. L’étude d’articles scientifiques l’ont conduit à utiliser des champignons mycorhiziens. Ce sont des champignons qui vivent en symbiose avec les racines des plantes. C’est-à-dire que la plante apporte des sucres nécessaires à la survie du champignon et celui-ci améliore, en retour, la résistance de la plante. Ces champignons sont en fait de fin filaments capables d’explorer un grand volume de sol, augmentant ainsi le système racinaire de la plante et facilitant la capturation d’eau et de nutriments. Ils ne développent pas de sporophores (champignon que l’on cueille avec son pied et chapeau). Le chrome (élément métallique toxique) peut être immobilisé dans le champignon, limitant ainsi la contamination de la plante. Un autre test vise à utiliser des bactéries promotrices de la croissance végétales. De même que pour les plantes, l’idée est d’utiliser des bactéries locales pour garantir la survie de l’écosystème environnant. M. Scattolin réalise actuellement des tests en laboratoires afin de vérifier ses hypothèses concernant l’utilisation de champignons et de bactéries. Il a ainsi reproduit des conditions de croissance optimale afin d’obtenir des résultats rapidement : température contrôlée, 14h d’éclairage par jour, arrosage régulier, etc. Dans son labo, 40 pots cultivés lui permettent de comparer 4 traitements (répétés 10 fois afin de pouvoir faire une étude statistique). Ces quatre traitements sont une expérience de contrôle négatif avec uniquement du MIATE et des plantes, une seconde avec en plus le champignon, une troisième avec des bactéries et une dernière expérience avec MIATE, plantes, champignon et bactéries. La définition des bons paramètres à mettre en place initialement permettra de créer un écosystème résilient où les plantes mortes deviendront un déchet organique nécessaire à la croissance du couvert végétal. Les mesures effectuées permettent de connaitre la biomasse créée, les quantités d’éléments métalliques et nutritifs dans les racines, dans les feuilles et dans l’eau du sol. Les conclusions sont pour l’instant encourageantes en termes d’augmentation de la biomasse et de réduction de la quantité de chrome mais elles ne sont pas encore flagrantes. En revanche, le chrome en solution dans le sol diminue sous l’effet du MIATE et les éléments nutritifs sont mieux absorbés avec les mycorhizes, ce qui atteste de la bonne santé des plantes.

Les futures expériences vont permettre de tester les espèces de plantes et de bactéries individuellement afin d’identifier l’influence de chacune et les interactions entre elles. La thèse de Mathieu Scattolin prendra fin en 2019. Le fruit de ses recherches pourrait, s’il s’avère efficace, être mis en place afin de limiter la pollution de la vallée du Gier. Le traitement réalisé permettrait d’utiliser le site comme un atelier pour définir une méthodologie acceptable d’un point de vue environnemental et économique extrapolable à un ensemble de friches industrielles, métallurgiques ou minières.