Courir sur un volcan, entre médiation scientifique et gouttes de sueurs
Publié par Guillaume Desbrosse, le 11 août 2017 3.1k
Il est des sorties qui font dates, des aventures dont on se souvient tant la charge émotionnelle est si forte qu'elle s'ancre à jamais dans nos souvenirs. J'ai eu la joie d'en connaître une le 27 juillet 2017, chaussures de trail aux pieds.
Nous sommes au cœur de l'été, en plein milieu de mes congés en famille et nous découvrons la fabuleuse île de la Sicile en Italie.
Pour les amateurs de sciences ou simplement les curieux quand on évoque la Sicile on pense rapidement aux...VOLCANS. La Sicile est située à l’intersection des plaques tectoniques européenne et africaine et donc ça bouge sévère sous nos pieds : tremblements de terre et éruptions sont régulières dans la région.
Vous connaissez sûrement l'Etna, le plus haut volcan d'Europe et l'archipel des îles éoliennes. C'est dans cette région que nous nous sommes rendus pour aller découvrir l'île de Vulcano et son Volcan qui donna son nom à l'île. Depuis très longtemps ce volcan me fascine et je suis loin d'être le seul. Maupassant le décrivait comme"une fantastique fleur de soufre, éclose en pleine mer."
Vulcano c'est un cône majestueux, une activité permanente, une surveillance extrême et un volcan qui donna son nom à un type de volcanisme : les éruptions vulcaniennes. Bref , un lieu à voir !
Oui, mais voilà, ce 27 juillet je n'ai qu'une envie après l'avoir gravi la veille en famille en marchant tranquille, le découvrir en courant via une sortie trail que je me suis soigneusement préparée. Mêler deux loisirs, la course à pied et les sciences.
Ce billet vous propose cette découverte qui je l'espère vous donnera envie d'aller fouler les pentes de Vulcano (en courant ou pas !).
Il est 18h00, j'enfile mes chaussures de trail Hoka Speedgoat parfaite pour les chemins escarpés, on lance la montre GPS et c'est parti pour un run d'environ 1h15 vers Vulcano avec l'objectif du sommet, le tour et une variante sur le retour. Premier problème il fait 35 degrés et je n'ai pas pu amener mon sac à dos de trail avec la quantité d'eau suffisante, va falloir gérer.
Dès les premières foulées, je ne vois que lui, là en face de moi, au bout des ruelles du petit village de Porto Levante et mon esprit commence à vagabonder sur l'histoire de la formation de ces îles :
Vulcano, Stromboli, Lipari, Panaréa, Salina, Alicudi et Filicudi. Elles sont toutes situées sur la mer Tyrrhénienne et représentent d’anciens cônes volcaniques sous-marins. Les explosions successives ont modifié le paysage et fait faillir ces 7 îles qui aujourd'hui font le bonheur des touristes.
"C'est moi ou il fait chaud ?" 10 minutes plus tard me voici sur le départ du sentier qui mène au sommet de Vulcano. Les choses sérieuses vont pouvoir commencer ! La première partie grimpe plutôt très fort et le sol est meuble jonché de scories piétinées par les nombreux randonneurs qui donnent l’impression de courir dans le sable...pas simple, mais je garde le rythme !
Vulcano est un volcan qui génère une lave très pâteuse, ses éruptions violentes se traduisent par des explosions de cendres et de blocs plutôt énormes qui partent extrêmement haut, autant vous dire que lors de leurs retombées il faut mieux éviter d'être dans les parages. Sur Vulcano il y a peu de coulées de lave et elles sont très visqueuses. Le souffle commence à manquer, ça grimpe de plus en plus fort et je double les premiers randonneurs qui me regardent bizarrement, "ben quoi j'ai le droit de courir non ?" Les flancs escarpés du volcan lui assènent une beauté unique qui me fascine littéralement, son aspect ridé de vieux bonhomme ou vieille dame au choix lui donne un charme fou et je commence à sentir l'humilité me saisir face à un monstre vieux de 100 000 ans (à la louche).
Courir apporte un sentiment vraiment différent de la marche, l'esprit vagabonde tout en étant concentré sur ses pas pour optimiser la trace et éviter les efforts superflus. Au premier virage, je double une famille française qui me gratifie d'un sympathique "y'en a qui font vraiment n'importe quoi !", cool les Français à l'étranger, je suis fan ! Allez on enchaîne moi je suis en mode plaisir/souffrance et mon regard se pose sur le paysage fascinant qui s'offre à moi, je suis au tiers de la montée, mais on s'élève déjà pas mal et la vue est sublime. Au loin j'aperçois le bâtiment du centre de volcanologie que nous avons visité la veille, le médiateur italien était au top et nous a donné un maximum d'informations vulgarisées dans un anglais parfait. http://www.ilvulcanoinforma.it...
Vulcano compte parmi les volcans les plus dangereux au monde, rien que ça. Son volcanisme est le type le plus violent. OK, mais pourquoi ? Son magma est riche en silice (la silice représente 60,6 % de la masse de la croûte terrestre continentale) et très acide , il se durcit très vite quand il arrive au sommet de la cheminée. Il a donc la bonne idée de former un énorme bouchon bien dense qui empêche les gaz de sortir. Pendant des années (siècles), cela pousse fort dessous...jusqu'à ce que....BOOM ! Parfois le bouchon est tellement résistant que ce sont des parties plus fragiles sur les côtés qui lâchent alors la totalité du cône explose. Les volcanologues pensent que cela s'est passé comme ça pour le cratère Del Piano. Le strato-volcan Vulcano a connu 5 phases (sources https://volcanspro.azurseisme.... et https://www.volcanodiscovery.c...) :
1/ sa formation entre 120 000 et 100 000 ans,
2/ la phase de construction après la formation de la caldeira Del Piano, aujourd'hui représentée par une immense plateforme entre 100 000 et 20 000 ans,
3/ le complexe volcanique Lentia entre 24 000 et 15 000 ans,
4/ la formation de la dépression caldeirique de la Fossa entre 15 000 et 8 000 ans
5/ la dernière phase depuis 6 000 ans à l'actuel
Sur ses révisions intellectuelles (bon il a fallu chercher) je continue mon ascension sportive et je me retrouve sur un chemin assez large et bien moins pentu taillé dans le volcan, je peux allonger la foulée et regarder au loin un peu le paysage.
Nouvelle grimpette plus étroite dans un chemin très escarpé, rongé par l'érosion des pluies, le paysage est grandiose, il reste à peine 100 m pour arriver sur la première plateforme de la caldeira del Piano (celle qui a littéralement explosé). Quelques minutes d'effort et je suis arrivé à la première pause. Boire, boire et encore boire, il fait tellement chaud, je reprends des forces avant d'entamer la montée vers le cratère principal actuel.
Je pense au bruit qu'une explosion doit créer, cela doit être juste hallucinant, j'ai du mal à me projeter, la guide sur l'Etna a parlé qu'une des éruptions de l'Etna correspondait à la puissance de 5 bombes atomiques ! Cela laisse songeur.
Enfin, j'aperçois le cratère et cette caldeira si caractéristique des volcans. C'est juste beau en fait ! Les fumerolles au loin s'en donnent à cœur joie et crache toute la transpiration de la terre, mon front fait exactement la même chose..mais quelle idée de monter en courant, ils avaient raison finalement les « frenchies ». Ici on ne peut s’empêcher de penser que sous nos pieds c'est la guerre des bulles de gaz qui remontent, le magma qui bouillonne. Vulcano se situe, tout comme les autres îles, sur une ligne de fracture. La croûte terrestre a seulement 12km d'épaisseur ici contre 50 à 70km en moyenne ailleurs. 12 km je ferai un peu plus aujourd'hui en courant...les chiffres m'amusent et m'interrogent.
Quand je regarde le fond du cratère je repense à l'image donnée par le médiateur hier : "Vulcano est comme une bouteille de soda fermée, vous la secouez bien et vous ouvrez d'un coup ! et bim bam boom !" bon la différence principale c'est que quand monsieur se réveille il projette des blocs à des altitudes entre 5 000m et 15 000m ! Même avec les Mentos dans le coca, j'ai pas réussi à donner ça.
Je continue mon run pour faire le tour du cratère par le nord et traverser le champ de fumerolles. Il est juste sublime et crache sans discontinuité un nuage de gaz à l'odeur d'oeuf pourri qui vous fait tousser à souhait. Chaque fissure nous offre un spectacle éblouissant, des composés soufrés s'échappent pour ma plus grande curiosité, le tout dans une chaleur difficilement tenable.
J'aperçois de nombreux cristaux de soufre au couleurs vives, ces fines aiguilles jaune or donnent le sentiment d'un spectacle unique si fragile. Pour que le soufre se sublime il faut une température de 110°, à 200° il devient rouge. le numéro atomique 16 de son petit sigle S ravit le paysage et lui donne un décor de fin de monde ou portes de l'enfer.
La mythologie s'est d'ailleurs emparée des volcans pour écrire de belles histoires.
Selon la mythologie, le dieu du feu,des volcans et patron des forgerons Vulcain avait ses forges juste dessous le volcan (pratique). Vulcain provoquait une explosion à chaque fois qu'il forgeait le métal avec ses cyclopes. Pourvu qu'il n'ait rien prévu aujourd’hui !
Si ces histoires vous intéressent, voici quelques liens :
https://fr.wikipedia.org/wiki/...
http://www.rts.ch/decouverte/s...
Pour ma part je continue mon petit chemin, après avoir passé les fumerolles j'attaque la dernière montée pour atteindre le sommet du volcan à 500m au-dessus du niveau de la mer. La vue y est magnifique et envoûtante. Devant nous un volcan s'active, au deuxième plan un village vit comme si de rien n'était et au loin la mer turquoise, les îles....c'est pas mal les vacances. Je profite du lieu pour me poser et faire quelques photos avant d'attaquer la partie la plus drôle et la plus technique : la descente.
Avant de lâcher les chevaux et me venger d'avoir si souffert en montant, je me dis qu'il faudra que je cherche sur le net l'histoire des éruptions de ce volcan, voici le résumé si dessous du réveil de la bête (merci https://volcanspro.azurseisme.... pour ce texte copié collé presque en l'état)
Du XIIIe au XVIe siècle, Vulcano a connu une éruption en moyenne tous les cent ans. De 1616 à 1693, huit éruptions ont eu lieu. De 1727 à 1786, six éruptions dont l’une a donné la coulée d’obsidienne de Pietre Cotte sur le flanc nord-ouest ; il s’est réveillé ensuite en 1873 jusqu’en 1876, puis à nouveau en 1878 jusqu’en 1879. Et enfin, la dernière, celle de 1886, elle a duré trois ans sans produire de coulée de lave et a détruit le village situé à ses pieds.
Depuis, le XXe siècle a été marqué par seulement des tentatives avortées. On notera qu’en 1968 alors que la France était secouée par des manifestations, Vulcano tremble avec un épicentre sous le cratère de la Fossa à 1 km ! Le bouchon commençait à se fissurer, l’évacuation a été envisagée. Une poche de gaz a explosé en projetant quelques petits blocs et puis....plus rien. Ouf !
Quand je repars, un silence règne, je n'entends que le bruit de mes Hokas dans les scories, un silence finalement inquiétant, le volcan se repose et comme le disent les volcanologues : plus longtemps il reste inactif plus l'explosion sera violente. Sympa. Je descends.
C'est parti pour une descente d'enfer qui restera dans mes runs préférés (pour mon petit niveau et humblement), des pentes raides, un sol irrégulier et très technique, des sauts pour ne pas perdre de temps, le tout dans un décor inoubliable. J'avale les virages avec des pointes à 23km/h...quel pied ! Je ne salue pas mes amis français qui terminent tout rouge leur ascension sans entendre la nouvelle réflexion pour filer vers le sud du volcan.
Arrivée en bas entier et sans gamelles (ouf) je prolonge le plaisir par une belle boucle qui m'éloigne du volcan pour le regarder une dernière fois de plus loin.
Voici ma sortie en carte tracée, un bon run de 12kms avec 650m positif, le tout en 1h15 sous 35 degrés..la fatigue comme on l'aime.
Ici la vie est paisible, le sable est noir, le décor sublime, les bateaux arrivent et repartent sans interruption et au milieu Vulcano attend son heure pour monter toute sa puissance dévastatrice. Aujourd'hui j'ai eu le sentiment de partager un sympathique moment avec lui...
Desbrosse Guillaume - Runner scientifique amateur ;)