Il était une fois...la numération. Partie IV : la numération additive grecque
Publié par Jacques Bourgois, le 21 mars 2022 8.5k
Les parties I, II et III de ce dossier ont été consacrées à présenter respectivement les origines des nombres, les différents systèmes de numération et la numération égyptienne.
Nous avons tous entendu les noms d’Aristote, Platon, Archimède, Hippocrate, Pythagore, Euclide, Thalès, …… célèbres scientifiques.
C’est en Grèce que fut érigée la première Université en Europe, que furent inventés la banque, la médecine, la géométrie, l’astronomie, … et les Jeux olympiques.
L’étude et le développement de ces différents domaines ont besoin de la numération, comment comptaient les Grecs ? C’est l’objet de ce présent article.
Dans l’antiquité, la numération grecque est double :
- Numération acrophonique : nombre représenté par la première lettre de son nom
- Numération alphabétique : nombre représenté par les lettres de l’alphabet grec
Numération acrophonique : système additif de base 10
Dès le Vième siècle avant l’ère chrétienne apparaissent en Attique, 9 symboles qui sont représentés par la première lettre du nom du nombre :
Les autres nombres sont notés par combinaison de 9 symboles précédents :
Exemples :
Numération alphabétique : système ionien
Le système acrophonique, différent d’une cité à l’autre, fut remplacé au IIIième siècle avant notre ère par le système ionien qui fut généralisé à Athènes ou à Alexandrie. Ce système repose sur les 24 lettres de l’alphabet grec auxquelles sont ajoutées 3 symboles supplémentaires issus de l’alphabet archaïque :
Afin de ne pas confondre lettre et chiffre, est ajouté
- à droite des lettres numériques de 1 à 999 un signe ressemblant à un accent aigu, nommé κεραία (keréa), qui représente la fin du nombre,
- à gauche des lettres numériques des milliers un signe ressemblant à une virgule, nommé αριστερή κεραία (aristerí keréa).
A partir de 10 000 les myriades sont utilisées (M=10 000 ; MM=100 000 000).
Exemples :
Les opérations courantes ne pouvaient être réalisées avec la numération acraphonique ou alphabétique (absence de zéro, nombre de symboles important). Pour ce faire, les Grecs utilisaient des abaques dont quelques exemples ont été retrouvés et exposés dans divers musées. Ils peuvent être schématisés comme suit (ici en numération acraphonique, le principe est identique pour la numération alphabétique). Le calculateur plaçait des cailloux dans les différentes colonnes pour représenter le nombre : ici 2134 (2*1000+1*100+3*10+4)
Pour les additions, le calculateur représentait les deux nombres sur les colonnes de l’abaque à l’aide de cailloux, puis réduisait le nombre de cailloux à au maximum 4 (pour les colonnes valant 1, 10, 100, 1000 ou 10000) ou 1 (pour les colonnes valant 5, 50, 500 ou 5000) par colonne en ajoutant un ou plusieurs cailloux dans la colonne de valeur immédiatement supérieure. Exemple : 2152+2849
On trouve bien : 5001.
Pour les soustractions, le principe est le même. Le plus grand nombre était représenté en haut de l’abaque, le plus petit en bas. Chaque caillou du bas annulait un caillou du haut dans les mêmes colonnes, le résultat était ainsi trouvé.
Pour les multiplications, aucun texte n’a été retrouvé mais il est possible de penser que les Grecs
faisaient des produits partiels qui étaient ensuite ajoutés sur l’abaque (les produits partiels étaient trouvés grâce à des tables de multiplication – les tables de Pythagore).
Pour les divisions, là encore pas de texte mais les Grecs faisaient sans doute des approximations successives pour s’approcher au mieux du résultat.
Les fractions :
Les Grecs de la période classique (500 à 400 av.J.C.) pensaient que les seuls nombres existant étaient entiers (la division de 1 était considérée comme impossible car « Est unité ce selon quoi chacune des choses existantes est dite une » – Euclide) : donc pas de problèmes de fraction ! Ce n’est qu’au cours de la période alexandrine (300 à 200 av.J.C.) avec Archimède, que les fractions ont été considérées comme des nombres et une notation apparait : le numérateur est suivi du signe ‘ et le dénominateur du signe ̎ :
Les fractions unitaires sont écrites avec le symbole du dénominateur suivi du symbole ' :
Au IIIème siècle, Diophante écrit le numérateur en dessous du dénominateur sans barre de fraction :
A partir de cette notion, de grands progrès ont été réalisés dans les approximations de racines : √2 est approximé par 7/5, √3 est approximé par 7/4, PI est compris entre (3+10/71) et (3+1/7). Par la suite, le mathématicien Heron fut le premier à obtenir les racines carrées et cubiques d’un nombre à partir du calcul des termes d’une suite convergente, mais comment a-t-il fait ? (voir à la fin de cet article)
Géométrie et mathématiques : Sur le fronton de la première université athénienne ‘l’Académie de Platon’ était écrit « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». Des Grecs, nous avons hérité la géométrie, ils établirent des lois à partir de règles empiriques connues auparavant. Sans Euclide, Pythagore, Thalès, Archimède, … que serait la géométrie ? Géométrie et mathématiques sont intimement liées aux yeux des Grecs car après la réalité concrète de la géométrie, toute forme géométrique est ensuite étudiée en tant qu’objet mathématique. Et au IVème siècle avant notre ère, sont étudiés : les sections coniques, le nombre PI, la trigonométrie, l’arithmétique qui déboucha sur l’algèbre, l’astronomie, …
Pour en savoir plus :
- calcul des racines par Héron :
Pour calculer l’aire (A) d’un triangle dont les longueurs des côtés sont a, b, c et de demi périmètre p=(a+b+c)/2, Héron utilisait la formule suivante :
A2 = p(p-a)(p-b)(p-c)
Pour obtenir A, il devait donc calculer la racine de A2. Dans un de ses écrits, Il explique la méthodologie suivante pour un triangle dont la surface au carré est égale à 720.
« Puisque le carré le plus voisin de 720 est 729 et il a 27 comme côté, divise les 720 par le 27 : il en résulte 26 et deux tiers. Ajoute les 27 : il en résulte 53 et deux tiers. De ceux-ci la moitié : il en résulte 26 2' 3'. Le côté approché de 720 sera donc 26 2' 3'. En effet 26 2' 3' par eux-mêmes : il en résulte 720 36', de sorte que la différence est une 36e part d'unité. Et si nous voulons que la différence se produise par une part plus petite que le 36', au lieu de 729, nous placerons les 720 et 36' maintenant trouvés et, en faisant les mêmes choses, nous trouverons la différence qui en résulte inférieure, de beaucoup, au 36'. »
[Pour Heron, x’ est égal à 1/x].
Traduction mathématique :
720/27 = 26+2/3
(26+2/3) + 27 = 53+2/3
(53+2/3) / 2 = 26+1/2+1/3 (soit : 26,8333333)
(26 + 1/2 + 1/3) x (26 +1/2 + 1/3) = 720 + 1/36
(720 + 1/36) – 720 = 1/36 soit : 0,0278
A la seconde itération, le résultat de √720 est exact à 5.10-9 près et cela au 1er siècle de notre ère !.
Ce qui sera généralisé par la suite par la suite donnant les racines n-ièmes d’un nombre A :
xi+1 = 1/n [(n-1)xi + A/xin-1]
- Calcul de PI par Archimède :
Archimède a été le premier mathématicien à calculer les décimales du nombre PI. Pour cela, il partit d’un cercle de rayon 1/2 et de polygones à 6 côtés inscrit et exinscrit. En doublant à le nombre de côtés des polygones, le périmètre de ces derniers va tendre vers celui du cercle. C’est ainsi qu’il a pu déterminer l’encadrement de PI avec des polygones à 96 côtés :
3+10/71<PI<3+1/7
soit 3,140845... < PI < 3,142857... pour une valeur actuelle de : 3,141592...
Remerciements : L'auteur remercie Aourell LANFREY (médiatrice scientifique, La Rotonde, Ecole des Mines de Saint-Etienne) de sa participation à l'élaboration de cet article.
🔎 Numération grecque : définition et explications (techno-science.net)
Numération Grecque, La (math93.com)
numeration grecque (free.fr)
Numération grecque | lesessais
Numération grecque : définition de Numération grecque et synonymes de Numération grecque (français) (leparisien.fr)
Grec ancien/La numération — Wikilivres (wikibooks.org)
Systèmes numéraux en Grèce ancienne (ens.fr)
Méthode de Héron — Wikipédia (wikipedia.org) Méthode de Héron — Wikipédia (wikipedia.org)
Le calcul de Pi par la méthode d'Archimède (mathkang.org)
pdf_les_fractions_d_avant-hier_a_aujourd_hui.pdf (ac-dijon.fr)