Il était une fois...la numération. Partie VII la numération positionnelle babylonienne

Publié par Jacques Bourgois, le 28 octobre 2022   12k

Babylone : ville située entre les fleuves Tigre et Euphrate (actuel Irak, au sud de Bagdad), bourgade mentionnée pour la première fois au 24ème siècle av.J.C. et devenue une cité vers 1800 av.J.C. Nous avons tous en tête : Sémiramis reine légendaire de Babylone vers 800 av.J.C. qui est à l’origine des fameux Jardins Suspendus (l’une des Sept Merveilles du monde), Nabuchodonosor qui a sublimé cette cité (vers 600 av.J.C.) avec notamment l’éblouissante ‘porte bleue’ ou l’Etemenanki (ziggurat inspiratrice de la Tour de Babel). C’est en Mésopotamie que serait née l’écriture vers 3300 ans av.J.C., décrits le théorème de Pythagore avant Pythagore, la valeur du nombre PI avant Archimède, la trigonométrie avant Hipparque mais qu’en est-il de la numération babylonienne ?

A la suite du système de numération sumérien (partie I de ce dossier) utilisant les calculi, est apparue la numération babylonienne vers 1800 ans avant notre ère. Cette numération en a gardé le caractère sexagésimal (base 60) et est additive pour les nombres de 1 à 59 puis positionnelle (les chiffres les plus à gauche représentant les plus grandes valeurs) pour les nombres supérieurs à 59. Il s’agit de la première numération de position qui utilise un mélange de bases décimale et sexagésimale. La numération babylonienne n' utilise que deux ‘chiffres’ :

Les symboles de 1 à 59 sont les suivants :

Un nombre babylonien sera écrit de la manière suivante :

Dans l’exemple ci-dessus, le nombre babylonien 1 : 6 : 15 vaut 1 soixantaine de soixantaine, 6 soixantaines, 15 unités soit 1x3600+6x60+15 = 3975 dans notre base décimale.

Par la suite, nous noterons les nombres de la manière suivante : valeurbase la base utilisée étant indiquée en indice. Par exemple :

  • 75 en base décimale = 7510
  • 75 en base sexagésimal (75 = 1x60 + 15)10 = 1:1560 soit 1 soixantaine et 15 unités

Les nombres supérieurs à 59 sont écrits de manière positionnelle et les chiffres représentent des groupes de 60 unités ou de 60*60=3600 unités :

6010 = 1:060 = 1

6110 = 1:160 = 11

360010 = 1:0:060 =1

385410 = [1x3600 + 4x60 + 14]10 = 1:4:1460 = 14104

Comment convertir un nombre décimal en en son homologue sexagésimal ? voir en fin d’article la rubrique ‘Pour en savoir plus’.

Mais, avec cette écriture, il y a un problème : 1vaut-il 160, 1:060, 1:0:060 ? Les Babyloniens ont alors l’idée de placer un espace entre les unités, les soixantaines, les soixantaines de soixantaines ainsi :

6110 = 1:160 = 1 1 . La largeur de l’espace étant différente d’un scribe à l’autre, il fut inventé pour la première fois le ZERO écrit sous la forme d'un nouveau symbole :

Selon l'emplacement de ce symbole dans le nombre, il faudra lire zéro unité ou zéro soixantaine ou zéro soixantaine de soixantaine :

Mais ce symbole n’a pas de valeur mathématique, c’est plutôt un symbole servant à séparer, selon le cas, les unités des soixantaines, les soixantaines des soixantaines de soixantaines, …

Opérations mathématiques :

Les additions et les soustractions sont faciles : il suffit d’additionner ou de soustraire les unités, les soixantaines, les soixantaines de soixantaines,… en se rappelant que 10 clous valent 1 chevron et que 6 chevrons valent 1 clou de la classe supérieure.

Multiplications :

Connaissant les additions, les Babyloniens possédaient les tables des carrés des nombres jusqu’à 59 en faisant des additions successives. Ces valeurs étaient écrites sur des tablettes d’argile. Pour faire des multiplications, les scribes babyloniens utilisaient dans un premier temps des considérations géométriques puisqu’ils connaissaient la formule mathématique donnant la surface d’un rectangle. Soit à multiplier 28 par 16 : il suffit de tracer un rectangle de côtés 28 et 16, dans ce rectangle un carré de côté 16 et un carré de côté 12 (=28-16), puis des carrés de côté 4 (=16-12), etc… de façon à remplir de carrés le rectangle d’origine.

La surface du rectangle d’origine étant égale à la somme des surfaces des carrés :

28*16=162+122+42+42+42 = 448

Cette méthode devait être fastidieuse, mais les mathématiciens babyloniens se sont aperçu que :

(a+b)2= a2 + 2ab + b2

(a-b)2= a2 - 2ab + b2

Ils avaient donc inventé les identités remarquables bien connues des collégiens de notre époque. En faisant la différence des deux identités précédentes :

4ab = (a+b)2 – (a-b)2 donc ab = [(a+b)/2]2 – [(a-b)/2]2

Dès lors, les multiplications se résumaient en des additions et des soustractions connaissant les carrés des nombres intermédiaires.

Exemple : 2160*1760= ?

21+17=38 et 21-17=4

D’après la table des carrés :

(3860/2)2 = 192= 36110 = (6*60+1)10 = 6:160 = 61

(460/2)2 = 22= 460 = 4

6 :160 est équivalent à 5:6160

5:6160 – 460 = 5:5760

61-4 = 5 50 7 =  5:5760 = [(5*60)+57]10= 35710

Donc :

Divisions :

Les babyloniens ne possédaient pas de méthode pour effectuer les divisions. Ils possédaient par contre des tables d’inverses : pour diviser par x, ils multipliaient par 1/x.

Au sens babylonien, deux nombres sont inverses l’un de l’autre lorsque leur produit est égal à 1 clou c’est-à-dire à une puissance de 60 (valant 1, 60, 3600 en base décimale) : ci-dessous une table avec quelques nombres et leur inverse.

L’inverse de 2 est 30 car 2 x 30 = 60, l’inverse de 9 est 6:40 car 9 x (6x60 + 40) = 3600.

Remarque : 7, 11, 13 … n’ayant pas d’inverse fini en notation sexagésimale, les Babyloniens devaient faire des approximations pour diviser par 7, par 11, par 13 …

Exemple : 20/5 = ?

5 a pour inverse 12

Faisons donc la multiplication de 20 par l’inverse de 5 soit 12 : les tables des carrés indiquent : [(20+12)/2]2 = 4 :16 et [(20-12)/2]2 = 16

D’où : 20 x 12 = 4 :16 – 16 = 4 donc 20/5 = 4 [souvenons-nous qu’une écriture babylonienne peut correspondre à plusieurs nombres (ici 4 ou 4x60 ou 4x60x60), c’est le lecteur qui interprète la bonne valeur selon le contexte, ce qui ne devait pas être simple et engendrer bien des erreurs

Fractions :

Les Babyloniens ne possédant que deux symboles (le clou et le chevron), ils les utilisaient pour les numérateurs des fractions, ainsi :

Mais cette méthode soufre d’ambiguïté, c’est le contexte général de la phrase qui permet d’évaluer un ordre de grandeur du nombre à considérer et d’éviter la confusion :

Cela n’a pas empêcher les astronomes babyloniens d’effectuer des calculs sophistiqués comme par exemple la liste des lever et coucher de la planète Vénus sur un cycle de 21 ans ou le calcul du déplacement dans le ciel de la planète Jupiter.

Algèbre - Géométrie - Trigonométrie

Les mathématiciens babyloniens savaient résoudre certaines équations algébriques comme les équations du second ou du troisième degré. Ils savaient également calculer la surface ou le volume de certaines figures géométriques comme les cercles, les cylindres, les pyramides. Ils connaissaient le théorème de Pythagore avant Pythagore, le nombre PI (=3+1/8) avant les Grecs et ont été les premiers à utiliser les lignes trigonométriques pouvant être interpréter comme des tables trigonométriques.

Pour en savoir plus :

Conversion  en base 60 : pour convertir simplement un nombre décimal en son homologue sexagésimal, il suffit de :

* diviser le nombre décimal par 3600, la partie entière du résultat est égale au nombre de soixantaine de soixantaine

* puis de soustraire le nombre de soixantaine de soixantaine fois 3600 du nombre décimal initial, la partie entière du résultat correspond au nombre de soixantaine

* puis de soustraire le produit nombre de soixantaine fois 60 du nombre décimal intermédiaire pour trouver le nombre d’unités.

Soir à convertir   385410 en base 60 :

385410/3600 = 1,07… le nombre de soixantaine de soixantaines est 1

3854 - 1x3600 = 254

254/60 = 4,233… le nombre de soixantaine est 4

254 – 4x60 = 14     le nombre d’unités est 14

D’où 385410 = 1 :4 :1460

Encore plus simple, il existe des convertisseurs sur Internet !

Inverse d'un nombre : pour avoir l’inverse d’un nombre, les Babyloniens utilisaient des tables où figuraient les nombres et leurs inverses. Les inverses étaient calculés en décomposant les nombres en facteurs premiers : 60 = 22x3x5 ou 3600 = 24x32x52. Les nombres pouvant avoir des inverses au sens babylonien devront n’avoir comme facteurs premiers que 2, 3 ou 5.

Inverse de 15 : décomposition de 15 en facteurs premiers : 15 = 3x5 à rapprocher de 60 = 22x3x5. La simplification des facteurs premiers de 60 par les facteurs premiers du nombre (ici 3 et 5) donne l’inverse de 15 égal à 22=4

Inverse de 27 : décomposition en facteurs premiers : 27 = 33 à rapprocher de 603 = 26x33x53. La simplification par 33 donne l’inverse de 27 égal à 26x53 = 8000 soit 2:13:20 en base 60.

Table d’inverses :

Babylone antique

Remerciements : L'auteur remercie Aourell LANFREY (médiatrice scientifique, La Rotonde, Ecole des Mines de Saint-Etienne) de sa participation à l'élaboration de cet article. 

Quelques références :

Images des mathématiques (cnrs.fr)

Numération babylonienne : définition et explications (techno-science.net)

La Numération Babylonienne (math93.com)

Algèbre babylonienne — Wikipédia (wikipedia.org)

Multiplication babylonienne et algorithme d'Euclide (pagesperso-orange.fr)

Les fractions (maths-et-tiques.fr)

http://www-irem.univ-fcomte.fr/download/irem/document/animations/fete-science-2006/compter_a_-babylone.pdf

https://calculatricegratuit.fr/calculatrice-decomposition-en-produit-de-facteurs-premiers-en-ligne/#Comment_decomposer_un_nombre_en_produit_de_facteur_premier