Sucreries de verre
Publié par Clément Laboulfie, le 1 février 2018 2.2k
« Le verre est aussi souple qu’un chamallow ! » Cette phrase pourrait faire office de conclusion à dix ans de travail sur le comportement microscopique du verre. En effet, on imagine mal comment il est possible d’observer ce comportement. Le verre est dur et se casse facilement alors que le chamallow est mou et requiert donc une force certaine pour le déchirer. Et quand bien même cette maxime quelque peu provocatrice est imprécise, elle permet de mettre au jour un comportement étudié depuis le début des années cinquante.
Alors de quoi parle-t-on exactement ? Tout d’abord, il est nécessaire de préciser les termes du sujet. La notion de souplesse, à l’instar de celle du langage courant, traduit la capacité d’un matériau à se déformer. Plus il est souple, plus le matériau se déformera facilement sous l’action d’une force extérieure. Plus il est dur et mieux il résistera à la déformation imposée. Et le verre est dur, très dur. Pourquoi donc prétendre le contraire ? Encore une fois, ici, on se rend compte de l’importance de la rigueur scientifique qui demande de bien établir les hypothèses de départ. En réalité, on se place ici à l’échelle du micron, c'est-à-dire à l’échelle du diamètre d’un cheveu. Et là, qu'observe-t-on ?
Verre en chamallow
L’image de la figure de la figure de droite montre des essais de dureté sur le verre. Le principe est simple : on enfonce un stylet dans un matériau avec une certaine force et on observe comment le matériau réagit. Sur l’illustration, on remarque que sous un chargement de 500g, des fissures se créent comme on s’y attend. On retrouve le comportement classique du verre : celui d’un matériau fragile c'est-à-dire, au sens physique du terme, un matériau très résistant qui ne se déforme pas mais qui cède brutalement. Or,
ici pour un chargement de 200g, on n’observe rien ! Comment-est ce possible ? On a bien pourtant apporté de l’énergie. Les lois de la physique nous indiquent alors qu’elle doit être dissipée. Mais sous quelle forme ? Il nous faut introduire maintenant un concept crucial pour la compréhension du sujet : la plasticité. D’aucuns ont déjà pu expérimenter le fait suivant : si on étire un élastique au-delà d’un certain seuil, il va se déformer de manière permanente ou irréversible si on veut garder une précision dans les termes utilisés. Dès lors, il ne pourra plus retrouver sa configuration initiale. Un second principe physique intervient alors. On observe que tout système physique tend à minimiser une quantité qu’on appelle énergie, et ce, pour se stabiliser. Pour continuer l’exemple précédent, ce principe permet d’expliquer le fait qu’un élastique étiré revienne à sa position initiale si on supprime la contrainte appliquée aux extrémités. Pour résumer, il s’agit alors d’une enchère au moins disant énergétique ! Le phénomène prépondérant sera celui dont l’énergie est la plus faible, autrement dit celui qui rendra le matériau stable l’emporte. Dans le cas présent, jusqu’à une taille critique, le phénomène le moins énergétique est celui de la plasticité, c’est donc ce phénomène qui est prépondérant. Au-dessus de celle-ci, les fissures sur les surfaces sont moins énergétiques, ce sont donc elles qui apparaissent. Or cette taille est de l’échelle du micromètre, là où le verre se comporte comme les matériaux mous, les chamallows par exemple…
On peut alors se demander pourquoi le verre est mou à l’échelle de la microstructure et dur à l’échelle macroscopique (échelle du mètre). Cette différence de comportement est due aux nombreux défauts de la microstructure, le verre est littéralement un liquide à l’état solide (l’arrangement des atomes dans le verre est semblable à celui qu’on trouve dans un liquide). C’est lorsqu’on prend en considération tout les défauts de la structure qu’on obtient le comportement du verre usuel. Pour faire bref, le verre, c’est une multitude de chamallows mal liés entre eux.
Des papillons de verre
Des essais récents de compression à l’échelle du micron ont démontré que le verre se déformait « plastiquement » de façon quasi parfaite, c’est-à-dire sans durcissement/adoucissement, un peu comme une pâte à modeler très dur. Dès lors, en additionnant la résistance de la microstructure à
son comportement parfaitement plastique, on obtient un matériau idéal en termes de tenue, comme le montre le graphique ci-contre suivant. On remarque que le ratio limite d’élasticité/module de cisaillement du verre (SiO2) est non seulement le plus important mais qu’il ne dépend pas de la taille de la microstructure, enfin jusqu’à tant que l’on ne dépasse pas la taille critique mentionnée plus haut...De plus, le ratio précédant s’élevant jusqu’à 0.1, cela veut dire qu’une contrainte de 6 GPa (unité de pression) est nécessaire pour déclencher la plastification. Par comparaison, celle de l’acier est de 0.15 GPa au maximum et la contrainte de rupture à 0.36 GPa. Ceci laisse penser qu’à l’échelle microscopique, le verre est extrêmement résistant. On peut donc imaginer réaliser des conducteurs internet et téléphonique en verre, étant donné leur bonne transmission de la lumière, leur résistance à la corrosion (matériau déjà oxydé) et leur légèreté (quatre fois moins dense que l’acier). Ces bonnes propriétés sont évidentes si on se souvient qu’une grande majorité du matériel de chimie est en verre (là on quitte les chamalow) et on peut même penser à l’utiliser comme composant dans les nanotechnologies. Enfin si on parvient à exploiter les propriétés microscopiques au niveau macroscopique, il est possible qu’un jour on puisse avoir des structures en verre en remplacement de l’acier.
Même si la dernière application semble plus relever du vœu pieux que de la réalité, qui oserait vivre, travailler ou manger dans un bâtiment en verre; aujourd’hui ? Il nous faut apporter ici un bémol à cette analyse. Quittons un instant les sucreries pour nous intéresser aux animaux, et plus précisément aux papillons. Quel rapport y a-t-il entre les deux me direz vous ? Figurez-vous que si on s’intéresse de plus près au comportement des ailes du papillon, on est confronté à la même réalité. En effet, bien que relativement fragiles et; légères, ses ailes peuvent atteindre 80 battements par seconde. Les ailes d’un papillon possèdent une architecture à l’échelle micrométrique qui permet d’exploiter les propriétés extraordinaires de la matière à petite échelle. De là à imaginer des structures mécaniques exploitant les propriétés incroyables de dureté et de souplesse du verre à micro-échelle, il n’y a qu’un pas.
La recherche sur le comportement du verre a débuté dans les années cinquante (1949 pour être précis) et continue de nos jours. L’intérêt pour ce champ de recherche ne s’est d’ailleurs jamais démenti, on comptait déjà en 1980 200 articles sur le sujet. Si l’analyse du comportement plastique du verre semble terminée, il reste encore de nombreuses pistes de recherches comme par exemple déterminer l’apparition du défaut qui conduit à la rupture du matériau. Si de telles pistes de recherche aboutissent, il faudra vraisemblablement alors envisager l’élaboration de process de fabrication….
Les illustrations de cet articles sont issues de documents de recherche mis à disposition par Guillaume Kermouche, Responsable du centre Physique et Mécanique des Matériaux du centre SMS de l’École des Mines de Saint-Étienne.