L'Univers brille-t-il comme un diamant?

Publié par Bernard Guy, le 17 juin 2024   1.1k

On ne connaît que 5 % de la matière et de l'énergie de l'univers : 25 % d'une matière noire inconnue, et 70 % d'une énergie sombre, tout aussi inconnue, manquent à l'appel. Pour compléter le tableau, grâce au James Web Space Telescope, on a découvert récemment des galaxies bien structurées, à un âge très jeune par rapport au Big-Bang (quelques centaines de millions d’années). Les modèles de formation des galaxies nous disent même : trop jeune (il faudrait plutôt quelques milliards d’années) ! Bon ! Tout ceci n’est pas anodin !

Face au versant sombre de la physique, les chercheurs sont partagés : une bonne part d'entre eux traquent des particules, ou des champs, exotiques, à détecter par divers moyens de mesure ou d’expérimentation. D’autres tentent de modifier les lois de la physique et de la gravitation. Le problème des galaxies dites « impossibles » suscite aussi son lot de remises en cause. Sur tous ces défis, la littérature scientifique est riche de propositions à discuter et comparer les unes aux autres.

Dans un article récent paru dans la revue International Journal of Fundamental Physical Sciences (1), j’ai mis sur la table une suggestion à débattre. Elle fait l’hypothèse que les divers problèmes énoncés ne sont pas indépendants et que quelque chose de « simple » nous échappe. Elle a ceci de particulier que, outre son bon accommodement en moyenne des données de différentes natures à la source des problèmes évoqués à l’instant, elle respecte les lois existantes : point n’est besoin d’échafauder de nouvelles théories, elle fait jouer nos outils conceptuels bien rôdés d'une manière qui n'avait pas été envisagée jusqu'à présent.

L’univers brille comme un diamant

Alors, quelle est la clé ? Il s’agit de considérer sans façon que, à l'échelle cosmologique (qui se compte en années-lumière, jusqu’à des milliards d’années-lumière), la lumière va moins vite que dans le vide « local », tel celui envisagé à l’échelle du système solaire (où nous utilisons la valeur bien connue c0 = 3.108 m/s). C'est analogue au ralentissement de la lumière dans l'eau ou un cristal de roche : certes, elle va toujours à la vitesse c0 dans le vide d’un atome à l’autre de la matière, mais elle perd du temps en interagissant avec les électrons croisés. On définit un indice optique n par le ratio de la vitesse c0 à la vitesse macroscopique c dans le milieu, soit n = c0/c. Dans le cas de l’univers, les détours des photons rallongeant son trajet et lui donnant une vitesse globale moindre cc (indice c comme « cosmologique »), résultent d’un effet gravitationnel à comprendre dans le cadre de la relativité générale. Il s’agit d’un effet Shapiro à l’échelle de l’univers (cet effet montre le ralentissement de la lumière sous l’effet des masses rencontrées). En utilisant la métrique de Schwarzschild (une métrique est une façon de mesurer les distances et les temps affectés par la présence de matière) on peut montrer, pour des univers vraisemblables en termes de densité volumique de matière et de rayon gravitationnel équivalent, que l’effet n’est pas mineur : l’indice optique équivalent peut valoir 2,4. C’est l’indice de réfraction du diamant !

Des vitesses ? Non, des comparaisons de vitesses !

Voilà l’outil. Comment permet-il de se passer de matière noire ? Tout simplement en remarquant que le problème n’est pas au départ un problème de masse manquante, mais celui de vitesses trop grandes par rapport à celles qu’on attend. Et on ne détermine pas les vitesses des objets célestes directement, mais via leurs ratios v/c à la vitesse de la lumière, dans des effets Doppler au sens large. D’habitude on porte au dénominateur la vitesse c0, mais, à rapport égal (seul le rapport a un sens), on voit que, en diminuant c, on diminue v. Les masses sont en rapport des vitesses au carré (lois de Newton (2)). En divisant la vitesse par 2,4, on divise la masse par (2,4)2, ce qui vaut à peu près 6 : c’est le ratio de la matière noire à la matière baryonique ordinaire ; on peut donc éviter la première. Ce raisonnement s’étend à diverses situations où l’on postule une masse manquante (mirages gravitationnels, fonds diffus cosmologique). Pour ce qui est de l’énergie sombre, on tire parti du fait que les physiciens ont montré qu’elle peut s’expliquer en rajoutant la constante cosmologique Λ aux équations d’Einstein. Le changement de la valeur de c dans ces équations est formellement et quantitativement équivalant à la constante cosmologique mystérieuse dont on n’a plus besoin. En bref, matière noire et énergie sombre sont les noms des « erreurs » que l’on commet en gardant la valeur c0 à l’échelle cosmologique. Il est intéressant de remarquer que, lorsqu’on mesure les vitesses des étoiles par leur parallaxe comme dans notre voie lactée, point n’est besoin de matière noire, comme ce qui a été observé récemment par les astronomes, et selon ce que j’avais prévu (3).

Un univers moins sombre, un univers plus vieux

Et pour l’âge de l’univers ? La valeur de la constante de Hubble H, qui règle son expansion et sert pour déterminer son âge, est déterminée à partir des vitesses de fuite des galaxies. Encore une question de vitesses ! Si l’on diminue celles-ci dans le rapport 2,4, c’est H qu’il faut amoindrir et c’est l’âge du Big-Bang qu’il faut rallonger dans le même ratio : il pourrait atteindre quelque 33 milliards d’années. Cela laisse du temps à de premières galaxies de se structurer. D’autant qu’on peut montrer que le modèle d’univers en expansion d’Einstein-de Sitter (sans matière ni énergie noires) et qui pourrait ressembler au nôtre, rallonge les durées au début de son histoire plutôt que dans les périodes plus récentes, par rapport au modèle ΛCDM adopté aujourd’hui. Au passage, les modifications envisagées apportent leur contribution à la discussion des « tensions » concernant la constante de Hubble et autres paramètres de l’univers.

Tout est réglé ?

Dans tout cela, nous avons fait fonctionner une rationalité relationnelle, comme Poincaré nous y invitait : on ne connaît que des comparaisons de phénomènes, y compris pour la vitesse de la lumière. Mais… une dernière hésitation vient. Diminuer c d’un facteur 2,4, n’est-ce pas un peu beaucoup ? En réponse, outre le fait que le calcul effectué est tout à fait standard, n’hésitons pas à souligner l’énormité des problèmes devant lesquels nous nous situons, dans la balance 95 % inconnu / 5% connu : il faut un remède à la hauteur ! Et soulignons la grande économie de la proposition, avec un seul angle d’attaque pour toute une série de problèmes aujourd’hui abordés par des voies différentes. Est-ce le mot de la fin ? Avons-nous trouvé la baguette magique qui résout tout ? Certainement pas ! Car si cette modeste approche (présentée dans une revue généraliste) rend bien compte quantitativement des moyennes des phénomènes apparaissant problématiques, il subsiste des écarts locaux. Regardons-les de plus près : peut-être faut-il associer d’autres propositions alternatives, nombreuses dans la littérature. On pense, parmi beaucoup d’autres, à celle de Buchert sur les inhomogénéités de l’univers, de Maeder sur les invariances d’échelle, de Paturel sur la variation de la constante de gravitation G, etc. Sans négliger pour autant la confrontation avec ceux qui mettent de la matière noire et de l’énergie sombre dans leurs modèles, et dont la connaissance des données (à interpréter dans un sens ou un autre) est précieuse.

Références

(1) https://www.fundamentaljournal...

(2) Nous étudions les mouvements d’objets de masses m et de vitesses v autour de ‘centres’ (par exemple, pour les étoiles, le centre d’une galaxie ; pour les planètes du système solaire, le soleil, etc.). Si l’on a symétrie sphérique, on peut rapporter toute la masse agissante M au centre distant de R. Dans le cas d’une stationnarité du mouvement, on a égalité de la force centrifuge mv2/R et de l’accélération de la pesanteur GmM/R2. On en déduit, toutes choses égales par ailleurs, que le rapport des masses M est égal à celui des vitesses au carré, comme annoncé. Si l’on n’a pas la symétrie sphérique (pour une galaxie de forme plus ou moins aplatie), on n’a plus le droit de ramener toute la masse au centre et la relation précédente entre les rapports doit être modifiée par un certain facteur de forme qui dépend de la distance au centre. Cet effet intervient lorsque l’on regarde l’écart à la valeur moyenne de la quantité de matière noire postulée dans tel ou tel cas particulier (voir la fin du texte). Merci à Eric Lombard pour sa demande de clarification bienvenue.

(3) Guy B. (2022) Révision du statut de la « vitesse de la lumière » et examen de quelques problèmes cosmologiques : https://hal.science/hal-03860051v1

Le visuel principal a été aimablement fourni par l’intelligence artificielle générative de Microsoft.