La tolérance de notre planète déjà épuisée?
Publié par Paul-Sofien El Machichi, le 1 février 2018 2.2k
La sauvegarde de la planète est une problématique universelle, mais on peut se demander si les changements sur les écosystèmes dûs aux activités humaines ne sont pas déjà irréversibles.
Natacha Gondran nous reçoit dans une salle de réunion de l'espace Fauriel, à Saint Etienne en ce mardi de la fin janvier où la grisaille environnante semble presque étouffante. Nous venons lui parler de ses projets de recherche qu'elle met en place en partenariat avec l'école des Mines Saint Etienne. Cette enseignante chercheuse spécialisée dans les questions environnementales donne différents cours (transition énergétique, environnement, et évaluation environnementale) mais mène en parallèle une seconde vie: la vie de chercheuse, menant plusieurs projets interdisciplinaires. Elle a dans un premier temps suivi des cours à l'INSA Lyon en génie et procédés énergétiques, avant d'effectuer un DEA sur les sciences et techniques du déchet. Elle poursuit ensuite par une thèse aux Mines de Saint Etienne sur l'environnement. Elle enseigne dans cette école d'ingénieurs depuis.
Elle assume donc un fort rôle dans la sensibilisation des futurs ingénieurs aux différentes questions environnementales, de transition énergétique et des enjeux très importants dans ce domaine. Même si l'enseignement représente une grande part de son temps et de ses activités, sa réflexion en tant que chercheuse s'articule principalement autour de la représentation et l'évaluation de l'impact humain sur l'environnement et sur notre planète. On l'aura compris c'est une question au cœur des débats depuis plusieurs années mais qui reste épineuse car la modélisation est extrêmement complexe. En effet elle s'appuie sur de nombreuses données et hypothèses plus ou moins corrélées entre elles, ce qui rend impossible -ou presque- des résultats exacts qui mêlent aussi bien physique, philosophie, géologie, économie qu’enjeux politiques, financiers et géostratégiques. Le monde de la recherche n'est pas le seul à le reconnaître puisque Natacha Gondran a travaillé par exemple avec Casino, EDF ou diverses entreprises du bassin stéphanois. A la différence d'un bureau d'étude évaluant l'impact carbone d'une entreprise, elle et son équipe réalisent un travail exploratoire, que n'effectuerait pas un bureau d'étude classique, et qui peut être très vaste, comme évaluer l'impact environnementale de chacun des produits vendus dans une enseigne de grande distribution. Avec Aurélien Boutaud, ils ont publié un livre sur l'empreinte écologique qui est considéré comme une référence en France sur le sujet. Mais qu’est-ce au juste que cette empreinte ? C’est un indicateur et un mode d'évaluation environnementale qui comptabilise la pression exercée par les hommes envers les ressources naturelles et les « services écologiques » fournis par la nature (source wikipédia). Plus précisément, elle mesure les surfaces alimentaires productives de terres et d’eau nécessaire pour produire les ressources qu'un individu, une population ou une activité consomme et auxquelles s’ajoutent celles utilisées pour absorber les déchets générés, compte tenu des techniques et de la gestion des ressources en vigueur. Cet indicateur est maintenant bien connu par l'opinion publique, les entreprises et les pouvoirs publics. En 2009, cet indicateur a été proposé comme indicateur officiel pour l'Etat français mais la réflexion a finalement été avortée. Comme la plupart des indicateurs environnementaux, il a en effet des défauts. Aussi une réflexion a été menée afin d'affiner l'évaluation de l'impact humain sur notre planète et essayer de trouver une nouvelle échelle.
Les débuts:
Déjà en 2009, un article de Johan Rockström et 24 autres scientifiques tenta de définir des "planetary boundaries", des seuils, des limites à ne pas franchir et au-delà desquelles les milieux touchés subissent des dégâts et des modifications drastiques et irréversibles. En effet depuis 10 000 ans, l'environnement terrestre connaît une relative période de calme et de stabilité, ce qui a notamment permis le développement de l'humanité tel que nous le connaissons. Mais suite aux différentes révolutions industrielles à partir du XIXème siècle, cet équilibre est largement fragilisé. L'article signé et co-écrit par ces scientifiques en 2009, détermine 9 seuils qui quantifient des seuils au-delà desquels l'impact de l'être humain sur la planète sera irréversible et dégradera considérablement l'ensemble des conditions de vie sur Terre.
Figure 1 Au-delà des limites. La surface intérieure teintée en vert représente l’espace d’exploitation nécessaire pour neufs systèmes planétaires. Les coins rouges représentent une estimation de la position actuelle pour chaque variable. Les limites de trois critères (taux de perte de biodiversité, changement climatique et interférence humaine avec le cycle de l'azote) ont déjà été dépassées. Rockström et al, 2009
Leur analyse démontre que les limites de la planète sont déjà dépassées pour trois domaines: le changement climatique, le taux de disparition de la biodiversité, et les interactions avec le cycle de l'azote.
L'exploitation
C'est cet article qui a lancé la réflexion de Natacha Gondran, en association avec Guillaume Junqua, Jacques Mery, Miguel Lopez-Ferber et qui a été mis en relation avec un doctorant Anders Bjorn, qui lors de sa thèse adapta les seuils de l'article de 2009 aux individus et les transformer ainsi en pourcentage individuel. Une réflexion se lança donc autour de cette notion de seuil. L'interdisciplinarité était indispensable pour traiter ce sujet, aussi l’équipe de chercheurs et d'étudiant impliqués dans ce projet aux côté de Natacha Gondran a rassemblé un étudiant en philosophie, un socio économiste , ou encore un scientifique en génie de l'environnement... De nombreuses compétences furent ainsi réunies. Cette étude permit notamment d'estimer des budgets écologiques pour les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de mesurer les nombreuses limites des indicateurs écologiques et les complications sociales, économiques et politiques qui entravent les avancées écologiques.
On voit donc bien que ces problématiques sont épineuses, et dans un sens inégalitaire puisque comme le fait remarquer Natacha Gondran, il est injuste de demander aux futures générations d'assumer nos imprudences avec la santé de la planète, et de les obliger à renoncer au confort que nous avons acquis après des siècles d'une industrialisation toujours plus féroce. Il en va de même pour les pays dits en développement actuellement, que l'on ne peut empêcher d'atteindre les niveaux de développement que nous connaissons aujourd'hui en Europe au nom de la préservation de la planète, alors même que les pays occidentaux n'ont pas su éviter le dépassement des seuils évoqués plus tôt. Mais ces questions sont aussi entre les mains des politiques actuels, et les scientifiques comme Natacha Gondran leur offrent les armes pour changer les choses. La balle est donc dans leur camp !
Portrait de Synda Bettaieb.
Jeune femme dynamique de 25 ans, Synda Bettaieb est originaire de Hammamet en Tunisie. Elle est diplômée d'Agronomie et est très intéressée par les questions environnementales puisqu'elle a déjà réalisé plusieurs stages dans ce domaine. Nous la retrouvons sur le perron de l'Ecole des Mines en ce mercredi matin. Nous réalisons l'entretien au SCIDEM, centre de documentation de l'école. Mme Bettaieb est étudiante en Master Sciences de l'environnement Industriel et urbain à Saint-Etienne, elle apporte à ce projet son expertise agronome, et va approfondir le travail déjà effectué, en s'intéressant plus particulièrement à l'utilisation et l'exploitation des sols. La présence de Synda Bettaieb confirme donc le besoin d'une très grande diversité de profils scientifiques et autres pour l'étude de ces problématiques.
Paul-Sofien El Machichi Nabil Bekhaled