Une information liée au stress se cache dans les poils
Publié par Pierre Levallois, le 23 novembre 2023 1.4k
Avez-vous entendu parler du cortisol ? Il s'agit d'une hormone produite au quotidien chez la majorité des mammifères. Le cortisol se retrouve dans les poils.. et pourrait informer sur le stress vécu durant les semaines voire les mois précédant le prélèvement de poils.
Le cortisol est une hormone de stress.. mais qu'est-ce-que le stress ?
Le stress est défini comme étant une menace perçue par individu à son intégrité physique et/ou psychologique, menant à des adaptations de l'organisme pour faire face à cette menace.
La menace peut être réelle (par exemple pour une brebis, l'attaque d'un loup) ou interprétée (par exemple pour une brebis, un bruit dans un buisson).
Les adaptions de l'organisme pour faire face à la menace sont un ensemble de réactions biologiques et comportementales : on parle de réponse de stress. La réponse de stress permet de faire face à la menace car la perception de l'environnement est accrue (pupille dilatée, poils hérissés) et le corps se prépare à réaliser un effort physique (libération d'hormones contribuant à augmenter la fréquence cardiaque ou à mettre à disposition de l'énergie pour l'organisme). Le comportement souvent associé à l'effort physique est connu sous le nom de "Réponse de Fuite ou de Combat".
Les notions abordées dans ce paragraphe sont schématisées dans la Figure 1.
Figure 1 : Schématisation du stress chez les mammifères menant à la sécrétion de cortisol (qui est l'une des principales hormones sécrétées lors de leur réponse de stress)
Le stress permet de faire face à une menace ... Mais alors, le stress est utile à la vie ?
Le stress a souvent une connotation négative dans la société humaine. Pourtant, si la réponse de stress existe encore aujourd’hui, c’est qu’elle présente un intérêt biologique pour la survie des espèces (Lupien, 2020). Autrement, elle n’aurait pas été sélectionnée au cours du processus évolutif. En effet, la réponse de stress permet à l’individu de s’adapter pour répondre à une menace perçue dans son environnement. Si un individu n’a pas pu faire face à la menace perçue, son intégrité peut être atteinte et ses chances de survie peuvent être alors réduites (reprenons l'exemple évident de l'attaque d'un loup pour une brebis).
Stressé : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ?
Une mesure biologique du stress permet d'évaluer le niveau de stress d'un individu. Quand on parle de "mesure biologique du stress", on parle en fait d'évaluer à quel point il y a eu des adaptations biologiques dans l'organisme, pendant ou après la réponse de stress. Chez la majorité des mammifères, la mesure biologique la plus fréquente est celle d'une hormone sécrétée durant la réponse de stress. Cette hormone s'appelle le cortisol (Wilkinson et Brown, 2015; Mormède et al., 2007; Figure 2). Plus la concentration de cortisol est élevée, plus le mammifère est a priori stressé.
Figure 2 : Molécule de cortisol (https://fr.wikipedia.org/wiki/...)
A quoi sert le cortisol ?
Lors de la réponse de stress, le cortisol permet de libérer des sources d'énergie pour l'organisme, dont notamment du sucre (glucide) (Collège des Enseignants de Nutrition des Facultés de Médecine, 2021).
Nota bene : Hors réponse de stress, le cortisol est sécrété en continue dans l'organisme d'un mammifère. Sa concentration varie au cours du jour et sa courbe de variation est la même toutes les 24h : on dit que la concentration de cortisol a un cycle circadien. Ce cycle circadien permet de réguler nos réveils, nos sommeils.. autrement dit notre horloge biologique interne. Quand on mesure le cortisol pour évaluer le stress, on mesure en réalité le "surplus" de cortisol sécrété lors de la réponse de stress.
Où peut on mesurer le cortisol ?
Le cortisol peut être mesuré dans différentes matrices. Habituellement, le cortisol est mesuré dans le sérum sanguin et la salive (voire l'urine et les fèces). Le cortisol sérique ou salivaire permet d'évaluer le stress à un instant t : on parle alors d'une mesure de stress aigu. Depuis la fin des années 2000, le cortisol a commencé à être mesuré dans les poils. Parce que le cortisol s'accumule au cours du temps dans les poils, le cortisol pilaire permettrait de mesurer le stress vécu par un individu pendant les semaines voire les mois précédant le prélèvement. On parle alors d'une mesure de stress chronique ou de stress sur le long terme.
En quoi la mesure du cortisol pilaire est-elle innovante ?
La mesure du cortisol pilaire permet d'évaluer le stress sur le long terme, chose que l'on ne pouvait pas faire avec les autres matrices utilisées habituellement. De plus, cette mesure nécessite un prélèvement ayant plusieurs avantages : le prélèvement est indolore, non-invasif et peut se conserver pendant au moins un an à température ambiante et à l'abri de la lumière (pratique, quand on sait que la plupart des prélèvements biologiques doivent être analysés rapidement ou conservés au congélateur !).
Quelle est l'utilité du cortisol pilaire ?
Le cortisol pilaire est utilisé en recherche chez les humains et commence à l'être chez les mammifères d'élevage (comme la vache ou le porc).
Chez les humains, le cortisol pilaire est mesuré pour évaluer la santé mentale de patients (Figure 3). Il peut être aussi utilisé pour caractériser des troubles cardiaques ou hormonaux liés au stress chronique.
Figure 3 : Exemple d'étude menée chez les humains incluant des mesures de cortisol pilaire ("hair cortisol"). Ouellet-Morin et al. (2020). Traduction : Associations entre les trajectoires développementales de la victimisation par les pairs, le cortisol pilaire et les symptômes dépressifs : une étude longitudinale.
Chez les mammifères d'élevage, le cortisol pilaire pourrait à terme être utilisé parmi d'autres indicateurs pour évaluer la santé et le bien-être des animaux. Il pourrait aussi potentiellement permettre d'identifier quelles situations sont les moins stressantes pour les animaux (par exemple faut il privilégier un logement en plein air, en intérieur ou mixte ?). Sur la base des mesures du cortisol pilaire, et en considérant d'autres informations liées au bien-être, des stratégies pourraient être mises en oeuvre dans la perspective d'améliorer le bien être de ces animaux.
Que retenir de cette lecture ?
Si l'on prélève quelques uns de vos cheveux, on pourrait évaluer le stress que vous avez vécu les semaines voire les mois précédant le prélèvement ! Autrement dit en considérant la définition du stress : votre cortisol pilaire permettrait d'évaluer l'importance de l'ensemble des menaces que vous avez perçu sur le long terme.
L'intérêt du cortisol pilaire continue d'être exploré par les scientifiques et il pourrait à terme contribuer à évaluer le bien-être des mammifères en élevage.
Pour aller plus loin :
-Mieux connaître le stress chez les humains et apprendre à le gérer : Lupien, S., 2020. Par amour du stress : 2e édition revue et augmentée, Les Éditions Va Savoir. ed.
-Mieux comprendre pourquoi le cortisol est une hormone de stress : Wilkinson, M., Brown, R.E., 2015. The endocrine glands and their hormones, in: An Introduction to Neuroendocrinology, Cambridge: Cambridge University Press. pp. 19– 44.
-Approfondir ses connaissances sur les fonctions du cortisol : Collège des Enseignants de Nutrition des Facultés de Médecine, 2021. Physiologie du Cortisol, in: Nutrition. pp. 113–117
-En apprendre plus sur le cortisol chez les mammifères en élevage : Mormède, P., Andanson, S., Aupérin, B., Beerda, B., Guémené, D., Malmkvist, J., Manteca, X., Manteuffel, G., Prunet, P., van Reenen, C.G., Richard, S., Veissier, I., 2007. Exploration of the hypothalamic–pituitary–adrenal function as a tool to evaluate animalwelfare. Physiol. Behav. 92, 317–339.
-Approfondir les connaissances disponibles sur le cortisol pilaire chez :
- Les humains : Stalder, T., Steudte-Schmiedgen, S., Alexander, N., Klucken, T., Vater, A., Wichmann, S., Kirschbaum, C., Miller, R., 2017. Stress-related and basic determinants of hair cortisol in humans: A meta-analysis. Psychoneuroendocrinology 77, 261–274.
- Les animaux : Heimbürge, S., Kanitz, E., Otten, W., 2019. The use of hair cortisol for the assessment of stress in animals. Gen. Comp. Endocrinol. 270, 10–17.
Référence citée dans l'article (Figure 3) et non-mentionnée dans la section précédente :
Ouellet-Morin, I., Cantave, C., Lupien, S., Geoffroy, M.-C., Brendgen, M., Vitaro, F., Tremblay, R., Boivin, M., Côté, S., 2021. Cumulative exposure to socioeconomic and psychosocial adversity and hair cortisol concentration: A longitudinal study from 5 months to 17 years of age. Psychoneuroendocrinology 126, 105153.
Qui est l'auteur ?
Pierre Levallois a réalisé un doctorat à Oniris (école vétérinaire de Nantes, France) entre 2020 et 2023. Son doctorat incluait une exploration du cortisol pilaire en élevage porcin commercial. Ses intérêts de recherche portent sur le stress et le bien-être des animaux ainsi que de leurs éleveurs.