[Plateau-Repas] Covid-19 : variants, vaccins et recherche

Publié par Christine Berton, le 26 mars 2021   870

Covid 19 : Une épidémie hors-normes

Le SARS CoV-2 a été découvert en décembre 2019. Le 30 janvier 2020, la progression de la maladie à coronavirus 2019 conduisait l’OMS à la déclarer urgence de santé publique de portée internationale puis pandémie le 11 mars 2020.

Le 26 février 2021, pour parler de l’évolution du virus, de ses variants mais aussi des vaccins et de la recherche, La Rotonde, centre de culture scientifique de Mines Saint-Etienne, proposait à chacun de profiter de sa pause-déjeuner pour suivre un Plateau-Repas auquel participaient 

  • Stéphane Paul, biologiste, chef du service Immunologie – suivi des biothérapies au CHU de Saint-Étienne, et membre du comité scientifique sur les vaccins Covid 19
  • Elisabeth Botelho-Nevers, chef du service d’Infectiologie – CHU de Saint-Étienne, responsable de l’axe Prévention Vaccination du Centre d’Investigation Clinique – Épidémiologie Clinique 1408
  • et Vincent Augusto, directeur du Centre Ingénierie Santé de l’Ecole des Mines Saint-Etienne et responsable de la plateforme #FutureMedicine.



Au 26 février 2021, quel est l'état de santé du virus ?

Elisabeth Botelho-Nevers : Malheureusement, il est en très bonne santé. Finalement, il n’y a pas un seul virus mais plusieurs virus SARS CoV-2. C’est un virus à ARN et on sait qu’ils ont la capacité de muter. Et donc depuis l’émergence de ce virus fin 2019, d’où son nom, on a observé plusieurs modifications avec plusieurs variants décrits d’ailleurs assez tôt dans l’épidémie.

On est à l’heure actuelle face à une poursuite de l’épidémie, avec toujours de nouveaux cas ; certains avec des variants nouveaux et d’autres avec le virus classique. Le variant dit « anglais », le B117, a une capacité à gagner du terrain, parce que les mutations qui sont observées lui confèrent probablement une certaine affinité plus importante pour le récepteur dans les cellules humaines. Et puis, lorsqu’un variant arrive quelque part, la transmission va se faire avec ce variant et il va donc pouvoir se propager. 

Tant qu’il y aura beaucoup d’infections, toutes les conditions seront réunies pour que le virus continue de muter. Et tant qu’on aura des nouveaux cas et que différentes stratégies, d’abord les mesures barrières, les vaccins et puis éventuellement d’autres stratégies n’empêcheront pas les infections, on aura de la transmission. Et plus on aura de transmission, plus on donnera au virus la possibilité de muter. Donc il y aura d’autres variants, c’est une certitude. C’est donc quelque chose qui est attendu et qui du coup continue de poser problème.


Ces mutations élargissent-elles le « panel » de personnes potentiellement infectées ? Autrement dit, ces variants restent-ils peu déclencheurs de pathologies moins sévères chez les plus jeunes mais est-ce qu’ils les infectent plus ?

E.B-N : C’est un peu tôt pour être très affirmatifs. Ce qui est certain c’est que le SARS CoV-2 infecte les jeunes. Avec des formes souvent plutôt bénignes mais pas toujours. Dès le début on a quand même eu des gens jeunes qui ont pu faire des formes un peu cognées, sans parler de réanimation mais en tout cas des formes fortement symptomatiques. Aujourd’hui, et je prends l’exemple de ce que l’on voit dans les services du CHU, on voit peut-être des patients un petit peu plus jeunes mais on est aussi peut-être confrontés à un peu moins d’infections chez les plus âgés qui, et même si c’est trop tôt pour le dire, ont beaucoup été infectés et ont été aussi, en proportion, beaucoup plus vaccinés. 

Globalement, on peut tous être infectés, quel que soit notre âge, et on peut tous transmettre. Et ça, c’est vrai depuis le début et ça doit rester à l’esprit de tout le monde.



Au Centre Ingénierie et Santé, des travaux entrepris par Jules Le Lay dans le cadre d’une thèse sur l’organisation de la prise en charge en milieu hospitalier

Vincent Augusto : On a pu réaliser tout un ensemble d’interventions pour pouvoir aider notamment l’Agence Régionale de Santé AuRA à prendre des décisions sur la réservation de lits, etc. Au cœur de tout cela, il y a des problèmes médicaux importants bien sûr, mais il y a aussi des problèmes d’organisation parce qu’au final, le nerf de la guerre c’est le nombre de lits en réanimation qui oblige l’Etat à confiner et à prendre des décisions assez dures. Et donc, de manière assez complémentaire à ce que propose l’Institut Pasteur avec des prédictions de contaminations ou d’indices R, nous avons pu connecter cela avec les configurations d’hôpitaux de la région, et notamment ceux du groupement hospitalier de la Loire, pour voir comment l’on pourrait essayer de prévoir la capacité optimale pour pouvoir prendre en charge les patients susceptibles d’arriver selon les prédictions de contaminations. On élabore donc des outils de modélisation et d’optimisation qui nous permettent de produire au final des propositions d’outils qui permettent d’envisager les meilleurs systèmes d’organisation pour répondre à différents scenarios. On est capables d’être assez réactifs. Ces recherches sont bien sûr faites en lien avec le CHU de Saint-Etienne et notamment Guillaume Thierry qui est chef de service en réanimation. 

L’accélération fulgurante de la recherche a permis en quelques mois d’élaborer des vaccins. Comment fonctionnent les vaccins actuellement autorisés et notamment la génération à ARN messager ?

Stéphane Paul : Effectivement, ce qui s’est passé en l’espace d’un an est une vraie révolution dans le domaine vaccinal. C’est lié bien sûr à l’étendue de cette pandémie à l’échelle mondiale et aux efforts, notamment financiers, qui ont été faits pour développer ces vaccins. 

Aujourd’hui, dans le cadre de la vaccination Covid, on a finalement 4 grandes approches pour essayer de combattre ce virus et ses variants. 

Les premiers à avoir été développés et qui ont démontré une grande efficacité, ce sont les vaccins à ARN. Ils sont tous basés sur le fait qu’on va faire produire par l’organisme la protéine virale : la protéine Spike. C’est une protéine de surface du virus, cible majoritaire des anticorps que l’on appelle neutralisants et qui vont bloquer l’entrée du virus. 

Cette stratégie de vaccination à ARN date d’une quinzaine d’années. Au départ, elle a été développée pour traiter des cancers et c’est une stratégie assez efficace dans le traitement de tumeurs solides notamment. Ensuite, elle a été développée dans d’autres applications, notamment contre le virus Ebola, pour essayer de répondre rapidement à des crises épidémiques.

Cette technologie peut en effet être développée très rapidement à partir du moment où l’on connaît la séquence de l’organisme pathogène, ce qui a été fait avec le SARS CoV-2. Dès qu’on a eu cette séquence chinoise de la souche initiale, la souche Wuhan, en l’espace d’à peu près un mois on a pu établir un vaccin qui pouvait être évalué pré-cliniquement dans des modèles animaux puis cliniquement. 

La stratégie de ces vaccins à ARN, c’est donc de prendre cette séquence, ce morceau de génome du virus, qui va permettre l’expression de cette protéine de surface du virus. Ensuite, on l’administre au patient dans une formulation particulière dérivée de lipides, un peu comme des petites billes dans lesquelles on met cette séquence. On utilise ces billes pour protéger finalement l’ARN de l’organisme et pour lui permettre d’entrer efficacement dans les cellules de chaque volontaire vacciné. 

Aujourd’hui en France il y a deux vaccins à ARN autorisés : le vaccin Pfizer-BioNTech et le vaccin Moderna. Les deux sont très similaires puisque la séquence d’ARN est quasi identique, seule la formulation vaccinale est un peu différente.

Ça, c’est donc le premier grand groupe avec une efficacité au-delà de 90% pour préserver des formes sévères et des hospitalisations.  

La deuxième grande catégorie de vaccins dont l’un est autorisé en France, ce sont les vaccins qui sont dérivés de virus et notamment d’une plateforme qu’on appelle l’adénovirus. Il s’agit en fait de virus bénins qui touchent les mammifères de manière générale, l’Homme en particulier. Des virus qui peuvent occasionner des infections oculaires, des rhumes, des choses très bénignes, et qui ont été modifiés génétiquement pour mettre la même séquence dont je vous ai parlé pour les vaccins à ARN, cette fameuse protéine Spike qui est la cible majoritaire pour une durée de réponse vaccinale. 

Dans cette catégorie, vous avez donc par exemple le vaccin d’AstraZeneca qui est basé sur une plateforme d’adénovirus de chimpanzé, une souche qui naturellement circule dans cet animal et qui a été modifiée par l’Université d’Oxford.

Dans cette famille-là, d’autres vaccins sont en cours de développement comme le vaccin Janssen ou Johnson & Johnson (autorisé par la Commission européenne le 11 mars 2021 – NDLR). C’est un autre adénovirus, l’adénovirus 26, qui est un sérotype humain cette fois. Il s’agit en fait d’une souche humaine qui circule plutôt en Afrique, un peu moins en Europe, et qui est basée exactement sur le même principe que l’adéno d’Astra Zeneca, la même protéine et le même vecteur. Et puis il y a d’autres vaccins qui arrivent avec cette plateforme adénovirale.

Ensuite, la troisième catégorie, celle que la population connaît le mieux, c’est celle des vaccins inactivés qu’on utilise de manière routinière. En fait, on prend un virus, on le tue efficacement avec un traitement chimique, un traitement physique. Et puis on l’inactive complètement. Par contre, on conserve l’ensemble des protéines qui sont reconnues par le système immunitaire. Ces vaccins-là ont été développés en priorité par les Chinois, un peu par l’Inde également. Ces vaccins ont également démontré leur efficacité en phase 3 mais ils semblent un peu moins efficaces que les vaccins à ARN. L’avantage en revanche, c’est qu’ils ne ciblent pas qu’une seule protéine ; il y a toutes les protéines du virus. Et dans l’hypothèse d’émergence de variants, on peut, peut-être, imaginer que ces vaccins-là pourraient avoir une efficacité un peu plus forte sur les variants. Mais ça, ça reste encore à démontrer.

Enfin, pour la quatrième catégorie de vaccins actuellement en cours de développement, au lieu de prendre une séquence génétique ou un vecteur viral, on prend la protéine elle-même, donc cette fameuse protéine spiculée, le Spike. On la fabrique et on y ajoute un adjuvant. Un adjuvant, c’est une molécule qui potentialise l’efficacité des vaccins. Et là il y a eu Sanofi-Pasteur qui a développé ce type d’approche avec une protéine produite dans des cellules d’insectes et qui était adjuvantée. Une société va sans doute avoir prochainement une autorisation pour ce vaccin vraiment très prometteur également, c’est la société américaine Novavax qui a exactement ce type de formulation et qui a démontré une très grande efficacité clinique.

Ce sont donc les 4 grandes approches pour lesquelles on a aujourd’hui des résultats de phase 2 ou de phase 3 d’efficacité qui sont très notables.


Le comité scientifique sur les vaccins Covid 19

S.P : Ce comité a été créé en juin 2020. Il regroupe 9 experts de la vaccination avec des spécialités différentes : des immunologistes, des cliniciens, des personnes spécialisées dans la production, d’autres dans la logistique, et puis des pharmaciens pour les aspects réglementaires.

Au départ, ce comité avait pour vocation de donner un avis au Ministère de la Santé et au Cabinet du Premier ministre sur la réservation des lots. Ces vaccins étant en cours de développement, il a fallu très rapidement, pour chaque Etat, réserver des lots, sans connaître d’ailleurs l’efficacité de ces vaccins, pour prévoir la vaccination de la population le plus rapidement possible. Donc à partir du mois de juin, ce comité a auditionné les producteurs de vaccins les plus avancés, Pfizer, Moderna, Astra Zeneca, les sociétés chinoises, les russes également, pour voir où ils en étaient de leur développement, quelles données ils avaient, à partir des modèles animaux.  Il y a deux modèles animaux qui permettent d’évaluer l’efficacité clinique de ces vaccins : le hamster et le singe. Donc très rapidement, ces sociétés sont arrivées avec des données pré-cliniques d’efficacité qui étaient variables d’un candidat à l’autre mais qui étaient prometteuses. Et puis, ils nous ont très régulièrement informés des évolutions de leurs essais cliniques de phase 1, de phase 2 et de phase 3. 

En fonction des résultats qu’on avait, de la logistique potentielle, de leurs capacités à produire également des vaccins en grandes quantités, on a émis des recommandations qui ont été suivies au niveau français et plus tardivement au niveau européen. En effet au départ, la France, comme la majorité des pays européens, a fonctionné un peu seule et puis rapidement, il y a eu une initiative pour pré-réserver des lots au niveau européen. Ces recommandations servent maintenant pour évaluer la quantité de vaccins achetés.

Donc ça, c’est la première mission du comité. Et désormais, on demande à ce comité de répondre à des interrogations de santé publique, de commenter ou d’essayer d’argumenter scientifiquement les recommandations de la Haute Autorité de Santé ou de l’Agence Nationale de Sécurité de Médicament et puis d’essayer également de réfléchir à des stratégies vaccinales un peu différentes. Tout le monde a dû voir dans les médias que les Anglais ont une manière de procéder un peu différente : ils ont préconisé d’abord une seule dose, puis d’espacer les doses, puis de mixer les vaccins en commençant par exemple par un vaccin à ARN puis de poursuivre avec un vaccin adénome parce qu’il y a effectivement une pénurie. 

Et donc, au vu des données scientifiques de la littérature, au vu des discussions que l’on a avec les producteurs, on essaie d’évaluer comment on peut améliorer d’une part la quantité de personnes pouvant être vaccinées tout en préservant un niveau d’efficacité optimal.

E.B-N : Il y a de nombreux vaccins en cours et vous pouvez suivre sur le site de l’OMS l’évolution des essais vaccinaux et des candidats vaccins. Il y en a plus de 250 aujourd’hui et plus de 73 qui sont en phase clinique. C’est intéressant de comprendre qu’il y a plusieurs stratégies et si les stratégies ARN sont celles qui sont sorties les premières, c’est parce que le temps de fabrication d’un vaccin à ARN est très différent de celui d’un vaccin classique. 


St-Etienne a été  fortement touchée à la première puis à la seconde vague à l’automne 2020. Quelle est la situation aujourd’hui ?

E.B-N : Avoir des données au niveau de la ville n’a pas nécessairement beaucoup de pertinence car typiquement, au CHU, on ne va pas prendre que les patients de St-Etienne. Par contre, il y a des données par département et bien sûr, il y a du variant anglais qui circule. Pour d’autres variants, on a ponctuellement quelques cas mais on n’est pas du tout dans la situation de la Moselle concernant le variant sud-africain par exemple. Ce sont des données qui sont surveillées de très près par Santé Publique France ou l’Agence Régionale de la Santé.


Propagation du virus et milieu social ?

E.B-N : Pendant la deuxième vague, notre ville a été un peu pointée du doigt car elle avait des taux très élevés. Ce qui est certain, c’est vrai à St-Etienne et c’est vrai partout, là où il y a de la précarité, il peut y avoir une transmission plus facile. Vous imaginez bien que si vous êtes 5 dans un appartement de 30 m2, forcément, le virus va pouvoir circuler. Surtout, si dans un petit espace plusieurs générations cohabitent, les plus jeunes vont forcément transmettre aux plus âgés. Malheureusement, souvent aussi, qui dit précarité dit une moindre connaissance des mesures qui justement vont faire qu’on peut éviter d’être infectés. Et puis, les masques ça peut représenter un coût… 

Par ailleurs, on sait aussi que parmi les plus précaires, il peut y avoir plus de pathologies et de comorbidités pouvant favoriser des formes sévères de Covid nécessitant une hospitalisation ou une réanimation. 

Donc oui, bien entendu, il peut y avoir dans certains quartiers plus défavorisés, et pas uniquement à St-Etienne, plus d’infections et plus de transmissions. Mais, dans les quartiers les plus aisés on peut aussi s’infecter et faire une forme grave.


A-t-on les moyens de détecter les anticorps lorsqu’on a été confronté à une infection ? 

S.P : Oui, on peut faire ce qu’on appelle un test sérologique. On fait un prélèvement sanguin et puis on va détecter des anticorps qui sont dirigés contre des protéines du virus.  Aujourd’hui, on peut même savoir, entre une personne vaccinée et une autre infectée, s’il s’agit du vaccin ou s’il s’agit de la protéine virale.  

Ce que l’on observe, c’est que le taux d’anticorps a tendance à diminuer au cours du temps. On a aujourd’hui des données autour de 10 et 12 mois après l’infection, où on voit perdurer des anticorps notamment contre différentes protéines du virus en particulier la nucléocapside. 


Si on a déjà contracté le virus, est-il encore nécessaire de se faire vacciner ? 

S.P : Aujourd’hui, les recommandations sont d’attendre 6 mois après avoir eu le virus pour se faire vacciner et, sans doute, ne recevoir qu’une seule dose du vaccin plutôt que deux. Chez des gens qui sont séropositifs pour le SARS CoV-2, on voit que a priori, une seule dose suffit à atteindre des niveaux d’immunisation que l’on atteint après deux doses chez les personnes n’ayant pas eu le virus. 

Pour l’instant le délai est donc fixé à 6 mois et une seule dose de vaccin, quel que soit le vaccin, à ARN ou adéno. 

E.B-N : Ce délai est fixé à 6 mois parce que les gens qui sont immuno-compétents, c’est-à-dire qui n’ont pas de déficit de leur système immunitaire, restent encore protégés par la maladie virale. Et comme on est dans une situation où on n’a quand même pas des doses pour tout le monde, on va en priorité vacciner des gens qui n’ont aucune protection. 

Et en effet, une seule injection parce que probablement, chez quelqu’un qui a déjà fait la maladie, le vaccin a ce rôle de « boost » que produit la deuxième injection quand on n’a jamais rencontré le virus. 

Et peut-être aussi un petit bémol sur la sérologie. On peut tous faire des sérologies, la seule chose c’est que ce taux d’anticorps, on ne connaît pas encore complètement sa signification en termes de protection. Et à l’inverse, on peut ne plus avoir d’anticorps détectables et être encore protégé. Donc quelque part, nous, en tant que médecins, nous allons nous en servir éventuellement pour dire « Oui, cette personne a rencontré le virus », donc éventuellement, on pourra ne lui faire qu’une dose de vaccin par exemple.

En revanche, par rapport à la population générale, il n’est pas recommandé de faire des sérologies à tout va parce que ça ne serait pas trop efficace et ça retarderait le processus. 


A-t-on des données sur l’efficacité des vaccins sur la transmission ?

S.P : Les vaccins actuellement autorisés l’ont été sur la base d’efficacité sur la réduction de formes sévères et d’hospitalisation puisque c’était l’objectif des phases 3. On a des données très récentes issues d’études menées en Ecosse, sur 500 000 personnes vaccinées. Ce sont des études assez dures à réaliser car, pour savoir si le vaccin a un effet sur la transmission du virus, il faut mesurer la charge virale chez les gens qui sont vaccinés, c’est-à-dire leur faire des écouvillons à des temps très réguliers et vous vous doutez bien que les gens n’ont pas franchement envie d’avoir un écouvillon toutes les 24 ou 48 h pour mesurer leur charge virale. Quoiqu’il en soit, en Ecosse, on a regardé 7 jours après la deuxième dose la charge virale qu’il y avait chez les gens vaccinés et dans un bras de contrôle non vacciné. Et on se rend compte qu’effectivement, il y a un effet sur la transmission avec une forte réduction de la charge virale d’à peu près ¾ chez ce sous-groupe de près de 500 000 personnes. 

Et qui dit réduction de la charge virale chez les gens vaccinés implique probablement que ces personnes transmettront moins le virus puisqu’on sait qu’il faut quand même une certaine charge virale pour infecter quelqu’un dans son environnement. Donc on commence à avoir des données sur la transmission. Elles vont s’accumuler bien évidemment et elles risquent peut-être de changer aussi les recommandations vaccinales puisque les stratégies peuvent être revues à partir du moment où l’on sait si le vaccin est efficace pour réduire la transmission.

E.B-N : Et puis, on peut aussi préciser que concernant les personnes asymptomatiques, la transmission n’est pas exclue mais elles n’éternuent pas, ne mouchent pas, ne toussent pas, et donc éparpillent un peu moins de virus quand même. Donc, globalement, la vaccination a a priori un impact positif sur la transmission. Après en effet, comme le disait Stéphane, il y a besoin de consolider les données pour vraiment mieux savoir si les vaccins réduisent la transmission et, d’un vaccin à l’autre, comment la réduction se fait.

S.P : Et puis, il faut bien se rendre compte que c’est une cinétique. Après la vaccination, on peut avoir une charge virale qui est transitoire et qui va diminuer assez rapidement et cette période-là, elle n’est pas très bien connue. Sur un grand nombre de patients, c’est difficile à estimer mais la tendance est de dire qu’effectivement, au moins pour le vaccin Pfizer parce que c’est celui pour lequel on a le plus de données et qui rassemble le plus grand nombre de personnes vaccinées, on a une réduction de la charge virale qui est probablement associée à la réduction de la transmission. 


A CIS, des travaux de recherche sur la filtration des masques 

V.A : Effectivement, il y a eu la saisie d’une opportunité par Jérémie Pourchez pour développer un banc de test de filtration des masques, qui en fait, à l’origine, est un banc de filtration bactérienne et non pas virale. Des travaux sont donc en cours pour voir comment on pourrait évaluer la filtration virale, dans les prochains mois. L’an dernier, comme on avait une pénurie de masques, la question était de savoir comment il était possible de tous contribuer à fabriquer des masques industriels, particuliers, etc. Puis s’est posée la question de la filtration et on a pu répondre à cette question grâce à l’initiative de Jérémie Pourchez, en collaboration avec l’université et le CHU de Saint-Etienne, pour pouvoir proposer une méthode, assez unique d’ailleurs, qui permet d’évaluer de manière fiable l’efficacité d’un masque. D’ailleurs, il y a maintenant des recommandations sur certains types de masques avec des mises en garde pour ne plus utiliser ceux en tissu simple par exemple.

C’est un peu comme les soins aux Urgences. On s’adapte en fonction des situations et effectivement, maintenant, il faut privilégier la qualité et l’usage qualitatif du masque.

E.B-N : En effet, ces collaborations qui existaient déjà hors temps de Covid se poursuivent avec ce travail sur les masques fait par J. Pourchez en lien aussi notamment avec Paul Verhoeven qui est microbiologiste au CHU de Saint-Etienne et travaille aussi dans le cadre du GIMAP, notre laboratoire de recherche dirigé par Stéphane Paul. 

Ces collaborations, on a la chance sur notre territoire qu’elles puissent se faire simplement, avec les expertises des uns et des autres. Et c’est intéressant de voir que, même en temps de crise, quand pourtant tout peut partir dans tous les sens, on arrive à se recentrer et faire des travaux de qualité.

V.A : On peut d’ailleurs rappeler qu’on est tous sur le même site : École des Mines, Université et Hôpital. De la même façon, pour la réanimation, c’est le contact local qu’on a avec Guillaume Thierry du CHU qui a permis de conduire ces travaux. Donc oui, c’est un super écosystème qu’on a à Saint-Etienne !


Avec les vaccins à ARN, va-t-on vers une évolution vaccinale qui rendra caducs les autres types de vaccins ou vers un panel renforcé de vaccins à disposition en fonction des profils de patients ? La nouvelle génération de vaccins à ARN permettra-t-elle de répondre plus rapidement et efficacement aux défis à venir avec notamment des épidémies qui risquent de se multiplier ? 

S.P : Effectivement, ce développement des vaccins à ARN est un outil pour répondre rapidement à ce type de situation. 

Est-ce que c’est aujourd’hui le vaccin le plus efficace pour toutes les maladies ? Probablement pas. D’une part parce que la capacité de codage ou de séquences qu’on peut mettre dans un vaccin à ARN reste quand même limitée, même si on parle aujourd’hui de faire des vaccins à ARN avec 2, 3 séquences de variants qui, comme un vaccin grippe saisonnier, couvrirait différentes souches en même temps. 

D’un point de vue immunologique, puisque c’est ce que je connais le mieux, tous ces vaccins n’ont pas la même capacité à induire des réponses immunitaires. Et, ce que l’on sait des vaccins à ARN, c’est qu’ils ne sont pas les « spécialistes mondiaux » pour induire des anticorps. Ce sont plutôt des vaccins qui induisent une bonne réponse adaptative, une bonne réponse cellulaire. On sait par exemple que les vaccins inactivés, là où on tue le virus, sont des très bons vaccins pour induire des anticorps. Donc, en fonction finalement du pathogène auquel on est confrontés, c’est bien d’avoir différents types de réponses, mais c’est aussi très confortable je pense, devant l’émergence de variants ou de nouveaux pathogènes d’ailleurs qui sont liés à la mondialisation. Les gens bougent d’une région à l’autre à une vitesse phénoménale aujourd’hui, il faut donc avoir au moins une première ligne de vaccins très rapide, et je pense que les vaccins à ARN ont cette capacité évolutive à être rapidement mis en place cliniquement.


Entre les personnes qui ont été infectées et ont développé des anticorps et celles qui sont vaccinées, à quel horizon peut-on espérer atteindre une forme d’immunité collective ?

S.P : Ça c’est une question qui ne concerne pas que la France. D’ailleurs, vacciner uniquement un pays n’aurait aucun sens. Si on ne vaccine pas l’Afrique, l’Inde, l’Amérique du Sud, on va voir arriver de plus en plus de variants, parce que le virus va continuer à circuler de manière très importante dans d’autres régions. Donc, on aura beau avoir vacciné 80, 90% de la population française, on verra arriver des variants. Ce qu’on sait, c’est qu’il faut vacciner largement, toute la population, pour éviter qu’arrivent ces variants et de nouvelles épidémies régulièrement. 

Au-delà de ça, c’est difficile de prédire d’une part si on va arriver à vacciner 70% de la population d’ici la fin de l’été puisque c’est ce qui est proposé aujourd’hui dans la stratégie vaccinale. Ça ne dépend pas que de l’Etat français bien évidemment, ça dépend de l’accessibilité des doses et de l’hésitation vaccinale, il faut convaincre les gens. Pour convaincre les gens, il faut avoir des bons vaccins, des bons vaccins qui en plus sont accessibles. Donc il y a beaucoup de variables aujourd’hui qui font qu’on y arrivera ou on n’y arrivera pas. Et aujourd’hui, je pense que personne n’a de boule de cristal pour dire « on va atteindre un niveau de protection de 50% en Afrique, 50% en Amérique »


La recherche. Interféron, anticorps monoclonaux, anticorps polyclonaux,… Où en est-on de l’éventualité de traitements qui peuvent aussi permettre aux médecins de ville d’éviter que se développent des formes trop sévères de la maladie ?

E.B-N : Ce qui est certain c’est que, pour pouvoir se sortir de tout ça, il y a les vaccins, il y a l’immunité au niveau international, mais il y a aussi traiter les malades. Parce qu’on peut avoir des vaccins très efficaces mais tout le monde ne sera pas forcément vacciné, tout le monde ne va pas répondre à la vaccination, donc certains vont pouvoir être malades et donc transmettre. 

Si initialement, face à l’émergence de ce virus, la stratégie a été de repositionner de « vieilles molécules » et d’essayer de voir si elles marchaient sur le virus, la plupart d’entre elles ont malheureusement démontré une inefficacité. Aujourd’hui, les stratégies visent à développer des médicaments spécifiques contre ce virus et plusieurs sont actuellement testés. 

Il y a la stratégie des anticorps. Nous, par exemple, on va tester chez les patients hospitalisés, les anticorps polyclonaux nantais mais aussi des monoclonaux. Nous allons aussi pouvoir, dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation de cohortes, chose assez inédite, proposer pour des patients qui débutent un Covid et qui sont en ambulatoire, de les faire venir pour les perfuser avec des anticorps monoclonaux.  L’objectif des anticorps monoclonaux, c’est de faire une immunisation passive et de venir bloquer le virus, le neutraliser, avant que la personne ait elle-même le temps de faire des anticorps. Toutes ces stratégies sont pour certaines à l’essai et d’autres s’en approchent. 

Donc, les choses bougent beaucoup. Mais on voit que malheureusement, quand on est dans des formes graves, il n’y a pas forcément beaucoup de choses qui marchent, et l’idée c’est de traiter le plus précocement possible, et parfois même avant que les signes n’arrivent. Donc, ces stratégies-là se développent aussi et bien sûr, tout le monde espère trouver les molécules intéressantes. 

Après, je pense que l’histoire de cette pandémie a aussi montré qu’il faut être très prudents et probablement que la communication autour de toutes les stratégies s’est parfois faite de façon un peu trop rapide. Ce qui est certain c’est qu’il y a beaucoup de recherche et que cette recherche doit être concertée pour, si ça marche, pouvoir très vite l’utiliser, et si ça ne marche pas, ne pas gaspiller ni d’espoir ni d’argent. 


Avec le SARS CoV-2, faut-il se préparer à subir un virus saisonnier comme la grippe ? 

S.P : Ce que je peux dire c’est que c’est probable que ce soit comme ça pendant quelques années. Vue la circulation actuelle du virus et puisque, vous le comprenez bien, on n’arrivera pas à vacciner la population mondiale dans un délai de quelques mois, le virus va circuler pendant plusieurs années. Vous dire aujourd’hui qu’il y aura une injection annuelle, je n’en sais rien tout d’abord parce que on ne connaît pas la durée de protection de ces vaccins. On sait aujourd’hui que les gens vaccinés sont protégés entre 8 et 10 mois. On ne sait pas au-delà parce que, pour l’instant, les données s’accumulent au fur et à mesure. Peut-être que ça sera 2 ans, peut-être que ça sera moins de 2 ans. Ce qu’on sait aussi, parce que ce sont des données qui sont quand même assez consolidées, c’est qu’effectivement les vaccins sont un peu moins efficaces sur le variant sud-africain. Donc, si ce variant devenait prévalent en Europe, en France notamment, est-ce qu’il faudra avoir des vaccinations plus régulières pour maintenir un taux de protection plus important vis-à-vis de ce variant ? Peut-être. 

Aujourd’hui, je peux juste vous dire que probablement oui, on va vivre avec ce virus quelques années, je n’espère pas plus que quelques années. Ça va dépendre de la vitesse de la vaccination, ça va dépendre aussi de l’évolution du virus. Effectivement ce virus peut évoluer dans tous les sens ; il peut s’éteindre comme il peut émerger. Là où on peut rassurer les gens c’est qu’on a la capacité aujourd’hui de moduler ces vaccins et en particulier les vaccins à ARN pour répondre à ces évolutions, et effectivement on pourra peut-être, sur des vaccinations saisonnières dans ce cas-là, essayer de réadapter un peu comme avec la grippe, l’efficacité vaccinale. 


Dans leur parcours de chercheurs, la survenue d’un tel virus les place, plus que jamais, au cœur du réacteur. Comment analysent-ils le fait de vivre une telle pandémie qui réoriente et accélère leurs travaux ?

E.B-N : Moi je suis infectiologue et on savait que ce type de phénomène arrive avec une ampleur plus ou moins importante. Les plus anciens ont connu l’épidémie du VIH, très différente mais avec une émergence. Vous parliez de réorientation de travaux, je pense que très clairement, quand le VIH est apparu, beaucoup de gens se sont mis à travailler là-dessus. 

Moi, j’aurais tendance à retenir 3 points.

Le premier, c’est que les sauts, à la fois technologiques et de recherche qui sont faits dans le développement clinique, comme avec les vaccins à ARN, vont être utiles pour d’autres pathologies. 

Ensuite, on peut espérer que la recherche clinique puisse bénéficier des leçons qu’on tirera de tout ça, en tout cas je l’espère. 

Et puis par ailleurs, moi qui travaille en effet sur l’hésitation vaccinale mais aussi sur la littératie dans le domaine de l’infectiologie, j’ose espérer que cette épidémie va aussi permettre d’augmenter le niveau de connaissance et de compréhension de la transmission des maladies infectieuses. Parce que même si c’est un virus très exceptionnel, ça reste un virus respiratoire. 

Et chaque année, on a des virus respiratoires ou des virus d’ordre digestif qui se transmettent par les mains donc il faut se laver les mains ; par la toux, donc il faut porter un masque. 

J’ai tendance à considérer que même si c’est une crise à tout point de vue, économique, social, psychologique, etc, c’est aussi une opportunité pour augmenter nos connaissances et notre compréhension de tout un tas de phénomènes et puis aussi de pouvoir répondre, dans le futur, à des questions auxquelles on n’arrivait pas à répondre jusqu’à présent.

S.P : Moi je vais vous dire deux choses. Je suis plutôt vaccinologue de formation et, j’ai un peu honte de le dire mais c’est une très belle opportunité de voir dans la vraie vie ce qui se passe, plutôt qu’effectivement expérimenter des vaccins comme je le fais chez la souris, dans des modèles animaux, finalement sans voir cette machinerie qui s’est mise en place dans le cadre de la vaccination Covid. On le vit dans la vraie vie, on voit tout ce qui se passe, on voit chaque étape, et tout ce que ça implique. 

D’être membre de ce comité, j’ai aussi appris et j’apprends encore énormément de choses sur les aspects logistiques. Donc, pour moi en tout cas, à titre personnel, c’est une vraie opportunité de voir cette évolution-là. 

Ça a effectivement, pour tous, réorganisé nos objectifs scientifiques. Dans le cadre du GIMAP dont je m’occupe, on travaille énormément sur le Covid bien évidemment puisqu’il faut avancer, il faut générer de la connaissance, et de cette connaissance ont émergé ces vaccins et la compréhension de la physiopathologie du Covid. 

C’est donc une leçon pour pas mal de choses et c’est une expérience assez unique qu’on est en train de vivre. 

En tant que scientifique en tout cas pour moi c’est une expérience unique que je vivrai je l’espère une seule fois dans ma carrière mais qui en tout cas, génère ce stress très positif dans la recherche qui permet d’essayer d’avancer pour des raisons qui sont tellement cruciales.

V.A : Il y a un point que je voudrais souligner c’est que je pense que pour la première fois en France, on se rend compte qu’on ne va peut-être pas pouvoir être pris en charge à l’hôpital parce qu’il n’y aura peut-être pas de place. Et ça je pense que c’est quelque chose d’assez nouveau pour beaucoup de personnes de se dire que là, les services sont pleins donc on ne peut pas vous prendre tout de suite. C’est quelque chose à mon avis qui n’était pas concevable il y a encore quelques mois. Et là se trouve justement tout l’intérêt de tout ce qu’on peut développer à CIS sur de l’organisation, de l’optimisation ,… Là on se rend compte que finalement, ça a un réel intérêt et, je ne vais pas dire que je suis content qu’on puisse le faire mais effectivement, ça met en valeur tout ce que l’on peut développer en termes de flux, de modélisations de parcours etc qui ont vraiment de l’intérêt dans ces types de situations.


Un mot de conclusion ?

Stéphane Paul  : Surtout vaccinez-vous !

Elisabeth Botelho-Nevers : Et respectez les mesures barrières !