Quelques plantes toxiques du Massif central Partie IV : le Gui (Viscum album)
Publié par Jacques Bourgois, le 14 décembre 2023 2.8k
Chaque début d’année, les druides cueillaient du gui pour les habitants de leur village qui l’accrochaient à la porte de leur maison en guise de porte-bonheur. Il était d’usage d’accueillir les invités en les embrassant sous le bouquet de gui pour leur porter chance, leur souhaiter de bonnes récoltes ou éloigner les mauvais esprits. Si c'est un porte-bonheur, sa toxicité est-elle si importante?
Le mot gui est un dérivé du latin viscum qui signifie colle, glu, visqueux en raison du caractère visqueux des fruits. Le gui a toujours été une plante sacrée depuis l’antiquité grecque jusqu’à la mythologie nordique en passant par les Celtes. Il n’est pas étonnant que plusieurs noms lui soient attribués : Gui blanc, Gui des feuillus, Bois de Sainte-Croix, Vert de pommier, Verquet, Blondeau …
Le gui est une plante parasite ne possédant pas de racine, il se fixe sur un arbre hôte (feuillus mais également quelques résineux comme le pin noir et le sapin). Il ne possède pas de racines mais des suçoirs qui s’enfoncent jusqu’au bois et ne puise que la sève brute (eau et sels minéraux) car ses feuilles sont capables de photosynthèse. L’arbre parasité est affaibli : croissance moins rapide, bois de moins bonne qualité, diminution de la production de fruits. Les tiges sont vertes, cassantes et de cylindriques, les ramifications conduisent à une forme caractéristique en boules. Les feuilles sans pétiole, sont simples de 2 à 8 cm de longueur et de couleur vert-jaunâtre, elles gardent cette teinte toute l’année même en période hivernale. Le gui fleurit en mars-avril. Les fleurs sont petites, jaunâtres, comportent 4 tépales et sont situées au niveau des nœuds groupées par 2 ou 3, elles sont pollinisées par les insectes. Les fruits issus des pieds femelles sont globuleux, blancs (feuillus) ou jaunâtres (résineux), translucides, l’intérieur contient une pulpe visqueuse et une seule graine (maturation : décembre-févier). Selon la nature de l’arbre hôte, il existe 3 sous variétés de gui : celles qui poussent sur les feuillus, les sapins ou les pins, mélèzes.
Toute la plante est toxique et surtout les baies et les graines. La composition de la pulpe des fruits est encore mal connue mais ont été identifiées la viscosine, la viscaline, la visciflavine.
Squelette moléculaire de la flavine (Flavine - Lexikon der Chemie (spektrum.de))
Les symptômes liés à l’ingestion de gui sont les suivants (3 à 4 baies chez l’enfant, une vingtaine chez l’adulte) : irritation des muqueuses digestives, vomissements, diarrhées sanglantes, hypotension pouvant entraîner un arrêt cardiorespiratoire.
Utilisation médicinale : Les Druides celtiques appelait le gui « La plante qui guérit tous les maux ». Ils l’utilisaient pour ses propriétés antispasmodiques dans l’épilepsie, les crampes ou les troubles liés à la nervosité. Le gui avait également le pouvoir d’immuniser contre les poisons et de protéger de la sorcellerie. Son emploi s’est ensuite perdu et les traités médicaux du Moyen-Age n’en font plus état. La phytothérapie actuelle l’utilise, sous forme d’infusion, contre la pression artérielle élevée et l’artériosclérose (action de la viscosine et des flavines). Le gui possède également des propriétés immunostimulantes. En allopathie, les extraits de gui sont utilisés, dans certains pays, comme complément d’appoint aux traitements anticancéreux (la viscumthérapie). Ils diminueraient les effets secondaires liés à une chimiothérapie mais des recherches sont encore en cours pour évaluer l’efficacité réelle et l’innocuité des extraits de gui.
Le gui et la mythologie :
* Mythologie grecque : Enée, fils d’Aphrodite, prince troyen, seul chef rescapé de la guerre de Troie, doit retrouver son père Anchise qui a d’importantes révélations à lui faire. Mais Anchise est mort, aussi Enée doit donc descendre dans les mondes souterrains. Pour un mortel ce n’est pas facile, aussi prend il conseil auprès de la Sybille qui lui dit d’entreprendre son voyage muni d’un rameau d’or qui pousse sur un arbre de la forêt. Après bien des épreuves, Enée retrouve son père et peut revenir dans le monde des vivants grâce au rameau d’or : le gui gage d’immortalité et de victoire sur la mort. Les Grecs associait le gui à Hermès, dieu de la santé.
* Mythologie nordique : Balder, dieu de la lumière et de la beauté, fils d’Odin (dieu principal de la mythologie germanique) et de Frigg (déesse de l’amour, du mariage et de la maternité) rêva une nuit de sa mort prochaine. Frigg, épouvantée, fit promettre à toutes les ‘créatures’ de la Terre de ne pas nuire à son fils…toutes, non car elle ne le demanda pas au gui, végétal si fragile. Loki le fils d’un géant, était jaloux de Balder et apprit que le gui n’avait pas prêté serment. Il fabriqua une flèche en bois de gui qui réussit à atteindre Balder et le tua. Mais les divinités parvinrent à ressusciter Balder, Frigg a alors fait du gui le symbole de l’amour et promit d’embrasser tous ceux qui passeraient sous un bouquet de gui.
* Mythologie celtique : « Les Druides n’ont rien de plus sacré que le gui et le chêne qui le porte…les Druides vont le (le gui) chercher le sixième jour de la lune, ils montent sur le chêne en robe blanche et coupent le gui avec une serpe d’or » [Jules César, La guerre des Gaules]. Durant le solstice d’hiver, les Druides disaient en coupant le gui « O gelh an heu » ce qui signifie « Que le blé se lève ». Cette formule a perduré jusqu’au Moyen-Age sous la forme altérée basée sur ses sonorités « Au gui l’an neuf ».
Langage des fleurs : La modestie n’est pas synonyme de ‘gui’ car il signifie « Je triompherai ».
Le gui dans la littérature :
*C’est Pline l’Ancien (23-79) qui le premier a écrit sur la cueillette du gui : « Un prêtre, vêtu de blanc, monte sur l’arbre, et coupe le gui avec une serpe d’or ; on le reçoit sur une saie blanche ; puis on immole les victimes, en priant que le dieu rende le don qu’il a fait propice à ceux auxquels il l’accorde. On croit que le gui pris en boisson donne la fécondité à tout animal stérile, et qu’il est un remède contre tous les poisons. »
*Un poème sur le gui et les Gaulois (Gaston Couté, 1880-1911)
Réveillez-vous, ô fiers Gaulois,
…
Allons, debout ! brisez vos chaînes
Invisibles qui vous retiennent
Loin des bois depuis deux mille ans.
Allez cueillir le gui des chênes.
*Et impossible de résister à citer le gui dans les BD :
Panoramix préparant la potion magique (R. Goscinny et A. Uderzo) : un des ingrédients est quelques boules de gui
Gaston fait une bbîîîîzzz sous le gui à M’oiselle Jeanne (Gaston Lagaffe, A. Franquin)
A suivre : l'Hellébore fétide
Pour en savoir plus :
Georges Becker, Plantes toxiques, Edition Gründ, Paris, 1995
Frantisek Stary, Plantes médicinales, Edition Gründ, Paris 1992
Fleurs familières et méconnues du Massif central, Edition Debaisieux, Beaumont 2000
Guide de la flore de Haute-Loire tome 1, Edition Jeanne-d’Arc, Le Puy-en-Velay, 2008
Guide de la flore de Haute-Loire tome 2, Edition Jeanne-d’Arc, Le Puy-en-Velay, 2010
ANSES, Fiche d’information, Plantes toxiques en cas d’ingestion, Maison-Alfort 2021 (ANSES-Ft-Plantes-toxiques-ingestion-2021.pdf)
Bienvenue sur le site des plantes toxiques (toxiplante.fr)
Plantes Risque (plantes-risque.info)
Microsoft Word - PLANTES TOXIQUES_web*_txtFR.docx (plantentuinmeise.be)
Liste des Plante toxique - Encyclopédie - Conservation Nature (conservation-nature.fr)
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