Quelques plantes toxiques du Massif central Partie XII : la Jusquiame noire (Hyoscyamus niger)

Publié par Jacques Bourgois, le 19 septembre 2024   3

La Jusquiame noire est une plante connue depuis fort longtemps. En effet, elle est citée vers 1600 avant notre ère, dans le célèbre papyrus médical Ebers. Elle est également mentionnée dans d’anciennes tablettes d'argile sumériennes. Les Grecs exploitaient les propriétés de cette plante pour rendre les oracles (la Pythie de Delphes) et Dioscoride, médecin du Ier siècle, la recommande comme antalgique dans son traité sur les plantes médicinales. Au XIIème siècle, les médecins de l’École de Salerne, en Italie, utilisaient une éponge imbibée de jus de Jusquiame pour endormir les patients avant certaines opérations chirurgicales, c’est l’ancêtre des produits anesthésiants. C’est également la plante fétiche des sorcières qui grâce à elle pouvaient voler sur leur balai !

Autres dénominations : Herbe de Sainte Apolline, Herbe aux sommes, Belle endormeuse, Mort aux poules, Herbe aux engelures, Herbe à la teigne …

La Jusquiame noire est l’hanebane gauloise aux propriétés curieuses comme en témoigne François Rabelais dans son ouvrage ‘La vie de Gargantua et de Pantagruel : « La hanebane est une herbe venimeuse qui causeroit aliénation d’esprit à ceux qui en mangeroient, les faisant braire comme des ânes… ». Elle appartient à la famille des Solanacées (comme la tomate, la pomme de terre ou encore l’aubergine pour ne citer que ces plantes). On la trouve dans le Massif central principalement à proximité des fermes à l’abandon jusqu’à 1500 mètres d’altitude. C’est une plante robuste de 30 à 80 cm de hauteur poussant dans les endroits pierreux ou en bordure de chemin sur sol argileux ou sablonneux riche en azote. Elle peut également être présente dans nos jardins surtout sur les tas de compost. Ses feuilles sont nombreuses, velues, molles, ovales quelquefois dentées et de couleur gris-verdâtre. Les fleurs à odeur fétide, en forme d’entonnoir sont vert-jaunâtres, veinées de violet avec une gorge pourpre noir, s’épanouissent de mai à octobre et secrètent beaucoup de nectar mais il convient de ne pas consommer le miel produit par les abeilles butinant cette plante. Les fruits en forme de ‘molaire’ contiennent une grande quantité de graines, la plante est également appelée Herbe de Sainte Apolline, sainte patronne des dentistes.

Toxicité : les feuilles, les racines et les graines sont très toxiques. Les alcaloïdes présents dans la plante sont l’hyoscyamine et la scopolamine à raison de 0,08% dans les racines, 0,17% dans les feuilles et 0,30% dans les graines. L’intoxication à la Jusquiame noire provoque une paralysie du système nerveux sympathique, les symptômes sont les suivants : vertige, engourdissement des membres, dilatation des pupilles, hallucinations, convulsions et dans les cas plus graves coma puis mort. Contrairement au délire furieux produit par la belladone, celui produit par la Jusquiame est calme ! Les propriétés hallucinatoires de la jusquiame (dues à la scopolamine) sont connues depuis l’Antiquité, elles provoquent une vision colorée où des points se succèdent à un rythme plus ou moins rapide pour terminer en une pluie d’étincelles dorées (c’est le phénomène appelé autrefois la berlue-danaë). Un autre effet est celui d’apesanteur ou de sensation de voler. Il convient cependant de ne pas consommer volontairement de jusquiame noire car, même si l’on veut voir une pluie d’or ou si l’on veut se prendre pour un oiseau, dose hallucinatoire et dose létale sont très voisines … le consommateur ne volera qu’une seule fois !

Hyoscyamine : C17H23NO3 (isomère de l’atropine)

Hyoscyamine — Wikipédia (wikipedia.org)

Scopolamine : C17H21NO4

Scopolamine — Wikipédia (wikipedia.org)

L’odeur désagréable de la fleur provient de la tétraméthylputrécine (C8H20N2), diamine toxique à haute dose.

Phytothérapie : la Jusquiame noire possède les propriétés suivantes : antispasmodique, sédatif, hypnotique, antinévralgique. Des infusions, des extraits hydroalcooliques, des sirops ou encore des fumigations peuvent être utilisés en usage interne, alors qu’en usage externe ce sont des cataplasmes ou des frictions d’huile de jusquiame. On traitera ainsi les tremblements parkinsoniens, les spasmes, la goutte, les rhumatismes, les contusions ou encore les névralgies dentaires et les otites. Il convient cependant de prendre garde à la quantité absorbée, car la dose létale est très faible.

Un peu d’histoire : la Jusquiame est connue depuis la nuit des temps et dans le monde entier. En effet, il en est fait mention dans des écrits laissés par les Egyptiens et les Sumériens qui utilisaient cette plante comme hallucinatoire et hypnotique. Vers 400 av.J.C., Hippocrate la prescrivait pour soulager les douleurs des malades. Les Hindous l’utilisaient dès le 1er siècle ap.J.C. comme anesthésiant lors d’interventions chirurgicales (traité de médecine et de chirurgie : Sushruta Samhita). Les fumigations de jusquiame, d’oignon et de poireau ont été décrites pour la première fois par Guy de Chauliac, père de la chirurgie médicale, dans les années 1300 pour soigner « les vers dans les dents », elles furent utilisées jusqu’au milieu du XXème siècle pour soulager les caries dentaires.

Quelques légendes : La jusquiame aurait une origine infernale, en effet sa naissance viendrait de l’écume du chien Cerbère, gardien des Enfers, qui ne supporta pas les rayons du soleil lorsque Hercule le fit sortir des Enfers (Métamorphoses d’Ovide).

Vers 3000 av. J.C . était consommée en Scandinavie une bière aromatisée avec diverses plantes dont la Jusquiame noire qui avait pour effet de décupler l’ivresse alcoolique. Toujours en Scandinavie, la Jusquiame aurait été utilisée par les célèbres guerriers vikings (les Berserkers : les guerriers d’Odin) pour les rendre plus féroces et insensibles.

Dans l’Europe médiévale, les sorcières s’enduisaient la peau ainsi qu’un manche de bois d’onguent élaboré avec de la jusquiame noire. La scopolamine s’absorbait alors par la peau ou les muqueuses provoquant ainsi une sensation de voler dans un ciel nocturne pour se rendre au sabbat

Les druidesses de l’île de Sein renommées pour leur science savait faire venir la pluie. En effet, il suffisait qu’une jeune vierge soit aspergée avec un rameau de jusquiame noire trempée dans l’eau d’une rivière, pour que la pluie apparaisse.

Bien d’autres légendes existent au sujet de la jusquiame noire, une petite dernière amusante : une femme qui peut faire ‘claquer’ en une fois une fleur de jusquiame sur son front est à coup sûr une femme trompée par son mari !!!

A suivre : l'Aconit napel

Pour en savoir plus :

Georges Becker, Plantes toxiques, Edition Gründ, Paris, 1995

Frantisek Stary, Plantes médicinales, Edition Gründ, Paris 1992

Fleurs familières et méconnues du Massif central, Edition Debaisieux, Beaumont 2000

Guide de la flore de Haute-Loire tome 1, Edition Jeanne-d’Arc, Le Puy-en-Velay, 2008

Guide de la flore de Haute-Loire tome 2, Edition Jeanne-d’Arc, Le Puy-en-Velay, 2010

ANSES, Fiche d’information, Plantes toxiques en cas d’ingestion, Maison-Alfort 2021 (ANSES-Ft-Plantes-toxiques-ingestion-2021.pdf)

Bienvenue sur le site des plantes toxiques (toxiplante.fr)

Plantes Risque (plantes-risque.info)

Microsoft Word - PLANTES TOXIQUES_web*_txtFR.docx (plantentuinmeise.be)

Liste des Plante toxique - Encyclopédie - Conservation Nature (conservation-nature.fr)

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