SUSCITER LE DIALOGUE ENTRE LA JEUNESSE ET LA RECHERCHE - Les ateliers de la recherche à La Rotonde

Publié par Raphaëlle Jarrige, le 17 septembre 2024   48

Cet article a été publié dans le n°206 de la lettre de l'OCIM, Juillet-Août 2024, Dossier Médiation des sciences.

 
Enjeu majeur pour notre société, le dialogue entre les sciences et la jeunesse est au cœur des projets du CCSTI La Rotonde, de l’École des Mines Saint-Étienne. Cet article présente Les ateliers de la recherche, un dispositif de médiation co-conçu par des médiateurs et des chercheurs qui permet de transmettre au jeune public la complexité et l’interdisciplinarité du monde de la recherche. 

La culture scientifique : le maillon d’une relation science et société apaisée. © La Rotonde, M. Verdiel (2023)

Les enjeux sciences et société
Consolider une relation de confiance

Les sciences et les techniques jouent un rôle de plus en plus central dans notre société, alors que nous sommes confrontés quotidiennement à des crises et des défis tels que le dérèglement climatique, la numérisation, la santé, l’énergie et l’alimentation.
Dans ce contexte, la relation entre la science et la société est devenue cruciale pour un nombre croissant d’institutions et pour les pouvoirs publics. Début 2023, deux études d’opinion ont été publiées pour analyser la place des sciences dans la société française. La première d’entre elles, le Baromètre 2023 de l’esprit critique, publié par Universcience en partenariat avec France info et La Croix, révèle que la science fait partie de la vie quotidienne des françaises et des français de plus de 18 ans. La science est à la fois une pratique culturelle (58 % des sondés ont fréquenté un musée ou un lieu de sciences au cours des trois dernières années) et une source d’information (55 % des sondés s’informent sur des sujets scientifiques au moins une fois par mois). La massification et la pluralité des sources d’information scientifique ont contribué à une révolution de la diffusion de l’information scientifique au cours des deux dernières décennies. Si Internet est la principale source d’information, 40 % des sondés le jugent digne de confiance. Les réseaux sociaux sont également considérés comme un vecteur crédible d’information scientifique, avec un taux de confiance de 37 %.
Cependant, des disparités sont observées entre les groupes de sondés lorsqu’il s’agit de la perception de la science. Alors que 77 % des sondés estiment qu’une affirmation est plus valable si elle est vérifiée scientifiquement, ce taux tombe à 69 % pour des groupes considérés comme « éloignés » de la science, tels que les femmes, les personnes moins diplômées ou celles résidant dans des petites villes ou à la campagne.
La deuxième étude, commandée par les fondations Jean-Jaurès et Reboot et réalisée par l’Ifop, montre quant à elle que le scepticisme est croissant chez les 11-24 ans. Seulement 33 % d’entre eux pensent que la science apporte plus de bien que de mal, contre 55 %
il y a cinquante ans.
Ces chiffres soulignent l’importance de maintenir les efforts pour renforcer la relation de confiance, de découverte et de dialogue entre la science et la société, en particulier auprès des jeunes qui seront les principaux acteurs de la société de demain. Une troisième étude, publiée en 2023 par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), confirme la curiosité des personnes sondées pour la science et la recherche scientifique (78 % d’intérêt). Les sondés
considèrent que la recherche, qu’elle soit publique ou privée, doit servir à trouver des solutions aux problèmes de la société, à explorer de nouveaux domaines et à développer des connaissances pour toute la population.
La science étant l’un des socles de notre démocratie et face aux grands défis auxquels nous sommes confrontés, il est essentiel de renouveler nos ambitions pour garantir et renforcer la relation de confiance entre la science, la société et en particulier les jeunes. Il est également vital de supposer une exemplarité, une impartialité et une représentativité de la communauté scientifique. Si nous attendons beaucoup de la société et de la jeunesse, la société quant à elle attend également une évolution de la posture des scientifiques avec un engagement auprès
des publics, et ceci dans un véritable dialogue.

Rencontre société et recherche : une dynamique nationale

L’ensemble des acteurs impliqués dans la création de savoir, la diffusion de la culture scientifique et l’enseignement des sciences partagent un même constat : il est impératif d’intensifier les liens entre la société et le monde de la recherche. Cette ambition nouvelle a émergé ces dernières années et se concrétise par la promulgation de la Loi de programmation de la recherche le 24 décembre 2020.

Cette loi définit une politique volontariste qui vise à renforcer les relations entre citoyens et personnels de la recherche. Les objectifs prioritaires sont multiples : nourrir le débat démocratique, appuyer les décisions publiques, lutter contre le désordre informationnel, permettre à chacun de comprendre le monde qui l’entoure et d’y prendre part.
Cette nouvelle politique marque un tournant dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale Science avec et pour la société (SAPS). Une structuration nouvelle du paysage est alors insufflée avec le déploiement d’outils concrets de soutien et une incitation à renforcer les collaborations entre les acteurs du champ de la production et du partage de la connaissance.
Deux de ceux-ci sont inédits : la labellisation, par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, des sites universitaires SAPS, et la sanctuarisation de 1 % du budget national de l’Agence nationale de la recherche (ANR) pour le financement du dialogue science-recherche-société.
Depuis 2021, la quasi-totalité des institutions de recherche et des organismes de financement ont inscrit la question de la relation science-société à leur agenda politique et ont déployé des moyens inédits. Ces outils peuvent prendre des formes multiples et répondre à des objectifs distincts lorsqu’il s’agit de promouvoir et d’amplifier les dispositifs de science participative, d’accompagner à la décision publique, de mettre en place des espaces de débat, de créer des
actions de médiation et de vulgarisation, de former les personnels, ou encore de favoriser et valoriser l’engagement des personnels de la recherche.
Cette nouvelle dynamique illustre l’importance accordée à la relation entre science et société dans
notre pays. En encourageant la collaboration entre les acteurs du monde de la recherche et la société civile, cette politique permet de renforcer le dialogue et la compréhension mutuelle.

Une rencontre sereine entre la société et le monde de la recherche

L’importance d’une culture scientifique pour toutes et tous est indéniable, car elle représente un socle essentiel pour une rencontre efficace et sereine entre la société et le monde de la recherche. Dans cette optique, il est crucial de continuer à mettre en place une stratégie ambitieuse et rigoureuse de diffusion de la culture scientifique.
En effet, la culture scientifique, grâce à son caractère inclusif, participatif et engageant, offre une
opportunité unique de vivre une aventure culturelle collective. Elle a la capacité de toucher un large éventail de publics, allant des passionnés aux groupes considérés comme distants ou irréguliers, tels que la population rurale, les petites villes, les femmes et les moins diplômés. Elle permet aux publics de s’immerger dans la connaissance, de comprendre sa construction, de développer leur esprit critique et d’expérimenter la science dans toute sa diversité et loin des stéréotypes.

La Loi de programmation de la recherche encourage cette orientation en invitant les établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche à mettre en œuvre une stratégie « Science et société » sur le long terme, en lien avec les spécificités de leurs territoires et en partenariat étroit avec une diversité d’acteurs tels que les musées, centres et associations de CSTI, les acteurs éducatifs, les collectivités territoriales, les entreprises et les médias.
Renouer le pacte entre les chercheurs et les citoyens en insufflant dans leurs relations plus de confiance et de réciprocité est un enjeu crucial. Les professionnels de longue date du champ culturel et de la médiation sont les mieux placés pour aider à atteindre cet objectif en agissant comme des facilitateurs de la rencontre entre la science et la société.

Médiation de la recherche à La Rotonde

Quand il s’agit de lien entre recherche et société, La Rotonde apparaît au cœur de tout un écosystème local en prise directe avec l’enseignement supérieur, la recherche, la culture, l’éducation nationale et populaire, les collectivités territoriales, l’industrie, etc. Nourrie de son expertise, de son histoire et située à la bonne échelle, elle a ainsi tous les ingrédients en main pour s’inscrire dans ces nouvelles évolutions nationales et pour y répondre en étant force d’innovation et d’impact sur les publics.

Un CCSTI dans une école d’ingénieurs

Depuis plus de deux décennies, l’école d’ingénieurs Mines Saint-Étienne a fait le pari audacieux de promouvoir le lien entre science et société en intégrant dans ses murs le centre de culture scientifique et technique La Rotonde. Cette dernière, avec son mot d’ordre #SoyonsCurieux, porte depuis 1999 un projet de médiation des sciences en lien étroit avec tous les publics pour découvrir, expérimenter, créer, s’informer, interagir, partager, se questionner et développer une valeur essentielle : la curiosité. Ainsi, La Rotonde se positionne comme un acteur majeur du développement de la CSTI sur le territoire et au-delà, soutenue par de nombreuses collectivités et un public de plus en plus nombreux.  

Pour accompagner le public dans la découverte des sciences et permettre de développer l’esprit critique, une place majeure est accordée au lien qualitatif entre eux et les médiatrices et médiateurs. Cette rencontre se produit dans trois lieux :
• Hors les murs, La Rotonde coordonne des événements de culture scientifique, pilote plusieurs dispositifs scolaires allant de la maternelle au lycée, crée des ressources numériques et anime des conférences, des débats et des formations pour différentes typologies de participants.
• À la Soucoupe, située historiquement au sein de l’École des Mines de Saint-Étienne, qui est un plateau de 300 m² dédié à l’accueil d’expositions temporaires louées ou créées in situ par ses équipes. Les expositions abordent une grande diversité de thématiques et visent des publics à partir de 3 ans.
• À Explora, qui est un nouvel espace pour « faire des sciences » avec les publics, manipuler, imaginer et créer. Cet équipement, composé d’un bâtiment et d’un parc scientifique, a ouvert en mai 2021 dans un quartier prioritaire de la ville de Saint-Étienne et a été soutenu par le PIA (Plan investissement d’avenir).
Par ailleurs, ce nouveau lieu, devenu une référence, s’est révélé un véritable moteur d’innovation pour les projets de médiation de la recherche. De l’architecture à la signalétique en passant par le design, le positionnement des meubles et la sélection des équipements de fabrication, tout a été soigneusement pensé pour créer un espace accueillant, propice à la co-conception d’ateliers et à l’évolution des pratiques.

Le bâtiment Explora. Avec cet espace, La Rotonde dispose d'un lieu dédié à l’innovation équipé
de nombreux équipements de bricolage classique et de machines à commandes numériques. © La Rotonde

Par essence, La Rotonde étant à la fois un CCSTI et un centre intégré dans une école d’ingénieurs, la porosité avec le monde de la recherche est très marquée. Cela se traduit par une forte habitude de travail en collaboration avec des chercheurs et des ingénieurs depuis deux décennies, ainsi que par la mise en médiation quotidienne des activités de recherche auprès des publics.
Cependant, depuis la Loi de programmation de la recherche de 2020, une forte évolution de l’engagement des chercheurs de Mines Saint-Étienne et des médiateurs est ressentie, avec une tendance à développer des projets qui relèvent totalement de la co-construction plutôt que d’une simple collaboration.

Une nouvelle stratégie proactive est mise en place pour renforcer les liens entre la société et le monde de la recherche. Cette initiative passe notamment par une réponse active aux appels à projets Européen et ANR, génériques, spécifiques et SAPS, en étroite collaboration avec les chercheurs. Ces projets permettent de renouveler l’offre de médiation et d’ancrer les propositions dans les questions de sciences contemporaines. De plus, ils offrent l’opportunité d’innover et d’expérimenter de nouvelles approches pour parler de la recherche, de se former mutuellement par l’action et d’augmenter la possibilité d’évaluer les dispositifs qui sortent d’un CCSTI.
En outre, cette nouvelle stratégie vise à créer un trinôme d’une valeur considérable, composé du médiateur, du public et du chercheur. Avec cette nouvelle approche, la médiation scientifique prend une nouvelle dimension, en étant pensée comme un levier pour renforcer les ponts entre la science et la société.

Lysieres² et Pôle d’incubation « interaction jeunesse et recherche »

Pour asseoir cette dynamique, La Rotonde est lauréate du label Science avec et pour la société (SAPS) avec le projet Lysieres² porté par l’Université Lumière de Lyon 2. Fort de sa structuration politique et stratégique, le projet Lysieres² s’inscrit parfaitement dans l’ambition portée par la Loi de programmation de la recherche. L’Université Lumière de Lyon 2 a bâti le projet avec un consortium de pilotage composé de l’Université Claude Bernard Lyon 1 et de deux CCSTI têtes de réseaux territoriaux (le département du Rhône pour Pop Science et celui de la Loire pour La Rotonde). Ces quatre partenaires forment ainsi un carré de tête pour le territoire sur le domaine
science-recherche-société. Lysières² se positionne comme un projet de prospective autour de quatre objectifs opérationnels :
• Créer une École des sciences avec et pour la société fondée sur l’alliance recherche et pratique.
• Coordonner un Pôle de référence sur la recherche participative avec une Boutique des sciences.
• Participer à la lutte contre la désinformation par des rencontres médias et monde scientifique.
• Devenir un Pôle d’incubation « interaction jeunesse et recherche ».
C’est sur ce dernier volet que La Rotonde se positionne, puisqu’en portant la création de ce pôle nous visons à développer l’incubation de projets créatifs, novateurs pour favoriser et amplifier les rencontres entre publics jeunes et monde des sciences. La volonté est également de se positionner sur le partage des ressources, méthodologies, expériences avec ce public cible et avec les acteurs professionnels de la CSTI au niveau régional et national.

Les ateliers de la recherche

Dans le contexte propice de Mines Saint-Étienne, où médiateurs et chercheurs collaborent au sein d’une même structure, l’innovation en matière d’outils de médiation de la recherche est à portée de main. Ainsi, depuis l’année en cours, La Rotonde propose dans sa programmation à Explora une nouvelle initiative : Les ateliers de la recherche. Destinés aux adolescents de 14 à 19 ans, ces ateliers ont pour objectif de faire découvrir les thématiques de recherche menées localement, leurs enjeux, ainsi que les cursus menant aux métiers de la recherche. L’atelier, interactif, ludique et pédagogique, constitue un espace de dialogue unique entre le chercheur et le jeune public.
Comment ces ateliers, qui se connectent directement au monde de la recherche, sont-ils conçus et animés ? Quelles innovations ce nouveau dispositif génère-t-il en termes de méthode de travail entre chercheur et médiateur, et d’outils de médiation ?

De la co-conception à la co-animation

Depuis l’avènement de l’ambition nationale SAPS en 2021, les chercheurs sont encouragés à s’ouvrir davantage à la société. Que ce soit par le biais de la vulgarisation scientifique, de la participation à des débats, ou encore de l’aide à la décision publique, il s’agit pour eux de développer un dialogue avec le grand public. Ce contexte favorable a permis d’instaurer une nouvelle dynamique collaborative entre le monde de la recherche et celui de la culture scientifique.

Ainsi, lors de la phase de montage d’un projet de recherche, les chercheurs sont invités à solliciter la participation de médiateurs dans leur consortium et à allouer une part du budget du projet à ce volet de médiation. En effet, le traitement des activités purement scientifiques nécessite le même type de ressources que le traitement du volet de médiation scientifique. Cette collaboration s’avère donc stimulante, permettant à chacun de s’engager dans une démarche commune et de bénéficier de l’expertise de l’autre.

Le binôme médiateur-chercheur : de la co-conception à la co-animation. © La Rotonde, M.Verdiel (2023)

Cette nouvelle dynamique collaborative vise également à favoriser l’émergence de projets de recherche en prise directe avec les préoccupations de la société. Des projets qui se veulent innovants, interactifs, et qui intègrent la dimension de médiation scientifique dès la phase de conception. Une évolution majeure qui marque une réelle volonté des chercheurs de partager leurs travaux avec le grand public, de favoriser le dialogue entre science et société, et d’encourager une meilleure compréhension des enjeux scientifiques contemporains.
Une première phase d’acculturation est indispensable pour que chercheurs et médiateurs s’accordent sur les objectifs de l’atelier, s’approprient le sujet de recherche dans toute sa complexité et prennent conscience de la subtilité des différents outils et mécanismes de médiation. Cette phase demande à chacun de sortir de sa zone de confort pour se mettre au diapason avant d’aborder le cœur de la conception de l’atelier. L’enjeu est alors d’arriver à illustrer la démarche scientifique au travers de différentes activités. De nombreux temps d’émulation sont nécessaires pour mettre en débat le choix des outils de médiation qui porteront, le plus fidèlement et justement, une activité de la démarche scientifique. Afin de renforcer la dimension recherche de l’atelier, le chercheur co-anime avec le médiateur.
Ainsi, tout au long du processus, de la conception jusqu’à l’animation, en passant par la demande de financement, ce dispositif fédère une équipe de recherche et des professionnels de la médiation.

Le pari de la méthodologie tinkering

Le tinkering est une manière d’apprendre, de se questionner et de comprendre « en faisant » qui
met à l’épreuve les pratiques de l’éducation aux sciences et, plus spécifiquement, de la médiation
scientifique. L’objectif est non seulement de développer, chez le public, en particulier chez les plus
jeunes, la créativité, l’inventivité et l’autonomie grâce à la manipulation d’outils, de matériaux
et de technologies, mais aussi de faire vivre une expérience de collaboration, d’élaboration de stratégie, d’exploration. Cette pédagogie est issue de la culture maker, née dans le milieu de l’enseignement et de la médiation scientifique américaine des années 2000. Elle se diffuse en Europe depuis les années 2010, notamment dans les structures de culture scientifique. Lors d’une activité tinkering, les participants sont invités à résoudre des défis tels que construire un objet roulant qui va le moins vite, prototyper une machine infernale, fabriquer un objet qui gribouille seul.
La philosophie et la méthodologie du tinkering peuvent-ils être transposables à une activité qui a pour objectif de parler de recherche ? Est-ce pertinent et cela apporte-t-il une plus-value dans la
découverte d’une thématique de recherche ? Est-ce suffisant, ou faut-il associer le tinkering à une autre activité pour gagner en robustesse d’un point de vue pédagogique ? Est-ce que cela permet de rendre compte des questions que se posent les scientifiques dans leurs laboratoires, et de leurs méthodologies ? Est-ce que c’est envisageable dans un temps court ?
Ce sont ces questions que nous avons voulu sonder et expérimenter dans Les ateliers de la recherche. L’équipe de La Rotonde et les chercheurs partenaires ont eu tout en main pour répondre à ce défi. Grâce à l’ouverture d’Explora il y a deux ans, nous avons accès à un lieu dédié à l’innovation, de nouveaux équipements de bricolage classique, de machines à commandes numériques, et la possibilité de solliciter une équipe de médiateurs et de médiatrices formée à cette approche et aux équipements.
Nous avons également eu l’occasion d’éprouver la conception et l’animation de plus de 30 activités liant les méthodologies tinkering-maker auprès d’un public varié.

Les ateliers de la recherche à La Rotonde. © La Rotonde

Après une année et demi de conception, de nombreux remodelages et plusieurs phases de tests, nous avons abouti à un scénario d’atelier construit en quatre étapes :
1. Une séquence introductive utilisant un débat mouvant. Le but est de favoriser l’interactivité avec le public tout en introduisant les grandes notions scientifiques nécessaire à l’atelier.
2. Une séquence tinkering pour répondre à un défi lancé.
3. Une séquence de prise au réel afin de reprendre pied avec la réalité scientifique et d'être confronté à de la vraie matière qui sort du laboratoire (images, matériaux, outils, instruments, etc).
4. Un temps de débrief et d’échange libre avec les membres de l’équipe de recherche.

Ce scénario est à présent intégré dans la programmation scolaire d’Explora à destination des lycées et classes préparatoires (accessible au Pass Culture). Il bénéficie également d’une version événementielle et d’une version junior.

Premiers retours d’expérience

Le premier Atelier de la recherche conçu est issu d’un projet de recherche autour des biocéramiques pour la restitution osseuse, financé par l’Agence nationale de la recherche dans le cadre de son appel à projet générique 1. Le projet de recherche porte sur la fabrication d’implants céramiques personnalisés via l’utilisation de l’impression 3D et de la cuisson par micro-ondes. Dès le départ, ce projet s’est construit avec une volonté d’inclure un travail de médiation scientifique et de s’adosser au dispositif Les ateliers de la recherche porté par La Rotonde. Cela a été affirmé dès les phases de réponse à l’appel à projet générique de l’ANR avec le fléchage d’un budget
associé (10 000 €). Cet atelier constitue un premier livrable important de ce travail. À ce jour, il a été animé auprès d’environ 400 personnes. Suite à ces animations, des premiers résultats émergent.
L’activité tinkering propose aux élèves de fabriquer eux-mêmes un implant osseux avec du matériel de récupération pour réparer un défaut sur une maquette d’os. Le défi lancé aux élèves est de concevoir cet implant en respectant un cahier des charges relatif à la taille, la résistance et la porosité de l’implant. Tout un tas de matériel de récupération est mis à disposition (tube en carton, éponge, grillage à poule, tubes pvc, etc.) , ainsi que du matériel de bricolage. On observe une forte adhésion du public lors de cette activité. Véritable temps de travail collaboratif et créatif, les élèves éprouvent la posture d’un chercheur dans un temps express. Ils découvrent ainsi les grandes étapes de la démarche scientifique : poser un problème, élaborer des hypothèses, expérimenter, tester, valider ou invalider l’hypothèse initiale. Grâce à une démarche « maker », les élèves sont placés face à la complexité de la recherche et à ses spécificités. Par exemple, à l’issue de l’activité, une grande diversité de prototypes sont imaginés, tant sur les matériaux utilisés que sur leurs assemblages. C’est alors une formidable occasion pour le médiateur de parler de la recherche. Il n’y a pas une réponse unique à un problème donné, contrairement à ce qu’ils ont l’habitude de vivre en classe, mais bien une diversité de solutions qui répondent à une question. Tout comme en recherche, face à un « verrou scientifique », plusieurs scénarios sont envisagés et expérimentés dans de nombreux laboratoires du monde pour pouvoir y répondre.
Le tinkering, au-delà d’être un outil pour comprendre une thématique scientifique, devient un dispositif pertinent de médiation de la recherche ! Cependant, il apparaît nécessaire de l’associer à une autre activité dite de « prise au réel » afin de remplir l’ensemble des objectifs fixés lors de la création de l’atelier. Ici, l’activité de prise au réel amène les élèves à replacer l’Atelier de la recherche dans le contexte du projet de recherche SiBio. La problématique de la fabrication d’implants osseux céramiques sur mesure est présentée à travers différentes expériences inspirées du travail expérimental en laboratoire. Les élèves commencent par manipuler et observer des échantillons d’os pour comprendre sa composition et sa structure. Puis ils découvrent les grandes étapes de la fabrication d’un implant céramique reproduisant la structure et la composition de l’os (synthèse d’une poudre, mise en forme de l’implant par impression 3D et cuisson de la pièce). Les élèves sont également amenés à découvrir les dernières innovations, notamment numériques, qui révolutionneront la médecine de demain.

Atelier de prise au réel : sortir les outils de la recherche des laboratoires. © La Rotonde, M. Verdiel (2023)


Au-delà de la contextualisation du projet de recherche, cette activité propose aux jeunes d’acquérir des connaissances en lien avec ce projet (qu’est-ce que l’os, comment se répare-t-il, comment fabrique t- on un implant ?). Mais également d’avoir accès à de vrais échantillons, de véritables images de sciences, d’instruments scientifiques, etc. C’est la vie d’un laboratoire qui s’invite dans un centre de science. Enfin, c’est l’occasion pour les élèves de faire le lien entre des connaissances acquises à l’école et une problématique concrète, liée à un enjeu sociétal fort (la santé). La pluridisciplinarité est aussi présente car le sujet se prête bien à une mobilisation de connaissances issues à la fois de la physique-chimie et des sciences de la vie et de la Terre (pour les collégiens et les lycéens), permettant ainsi un décloisonnement des disciplines.

Utiliser la méthodologie Tinkering pour parler de recherche. © La Rotonde, M. Verdiel (2023)

Conclusion

Le dialogue entre les sciences et la jeunesse est un enjeu majeur pour notre société, que les stratégies politiques ont clairement mis en avant. Dans ce contexte favorable, la nouvelle offre du CCSTI La Rotonde de Mines Saint-Étienne, Les ateliers de la recherche, co-conçue par des médiateurs et des chercheurs, permet de transmettre au jeune public la complexité et l’interdisciplinarité du monde de la recherche.
Si la volonté culturelle et scientifique est forte, si les acteurs partagent les mêmes envies et si les publics répondent avec enthousiasme aux propositions d’interaction, il reste encore des défis à relever pour consolider cette pratique et construire durablement cette collaboration entre le monde de la médiation et celui de la recherche.
L’initiative de l’État autour de la Loi de programmation de la recherche est une étape importante, mais elle ne doit pas être considérée comme un point d’arrivée. Elle doit être soutenue par une volonté politique forte pour faire évoluer positivement notre société dans son interaction avec les sciences. Si des actes de médiation remarquables ont été menés par les acteurs sur le territoire national, la question de la massification et du changement d’échelle se pose désormais. Comment permettre à chaque lycéen de vivre une aventure connectée avec les sciences et le monde de la recherche, motivante et emballante ? Les sciences doivent infuser le quotidien de notre jeunesse avec ambition, rigueur et professionnalisme.
La France possède un réseau d’acteurs qui ont fait leurs preuves et des scientifiques pour la plupart très impliqués dans cette démarche. Il reste ainsi à consolider la volonté politique et les moyens associés pour que cette initiative se généralise à l’ensemble du territoire

Raphaëlle Jarrige, Nathalie Douard et Clémence Petit

Raphaëlle Jarrige est chargée de projet médiation, La Rotonde, Mines Saint-Étienne.
Nathalie Douard est enseignante-chercheure au laboratoire Sainbiose (Inserm UMR 1059), Centre ingénierie et santé, Mines Saint-Étienne.
Clémence Petit est enseignante-chercheure au laboratoire Georges Friedel (CNRS UMR 5307), Centre science des matériaux et des structures, Mines Saint-Étienne.
Ressources
Amcsti. Point de vue. La culture scientifique, technique et industrielle pour tous, Ouest-France, 8 avril 2022. En ligne : https://www.ouest-france.fr/sciences/point-de-vue-la-culture-scientifique-technique-et-industrielle-pour-tous-13008b60-b747-11ec-91b4-4cb12076d3f2https://www.ouest-france.fr/sc...
CNRS. Les Français, la science et le CNRS, 2023. En ligne : https://www.cnrs.fr/fr/actualite/les-francais-la-science-et-le-cnrs
Fondation Jean-Jaurès, fondation Reboot, Ifop. La mésinformation scientifique des jeunes à l’heure des réseaux sociaux, 2023. En ligne : https://www.jean-jaures.org/publication/la-mesinformation-scientifique-des-jeunes-a-lheure-des-reseaux-sociaux/
IGÉSR (Inspection Générale de l’éducation, du sport et de la recherche) pour le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Cartographie des actions conduites par les établissements d’enseignement supérieur (universités et écoles) en matière de relations entre sciences et société, 2021. En ligne : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/cartographie-des-actions-conduites-par-les-etablissements-esr-en-matiere-de-relations-entre-science-47669
Meunier A. et al. Penser avec ses mains ou la philosophie du tinkering. La lettre de l’Ocim, no 177, 2018. En ligne : https://journals.openedition.org/ocim/2557
Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Sciences et Société, actualités. En ligne : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/sciences-recherche-et-societe-50225
Universcience, Opinion Way. Baromètre de l’esprit critique, 2023. En ligne : https://www.universcience.fr/fr/esprit-critique/barometre-de-lesprit-critique-2023
Université Lyon 2. Label SAPS Lysieres²,2022. En ligne : https://lysieres.univ-lyon2.fr/