Volonté et démarche inclusives, éclairage sur Explora à Saint-Etienne

Publié par Juliette Suc, le 12 mai 2021   1.2k

Être ou ne pas être inclusif ? Telle est la question. De nos jours, de nombreuses structures culturelles s’impliquent dans une volonté d’inclusion des publics éloignés du champ culturel pour élargir les possibles et se rendre accessibles. Actuellement en dernière année d’études en sciences de l’éducation, j’ai décidé de rédiger une étude de cas sur ce sujet et d’en condenser le contenu pour cet article.

Il s’agit ici de décrypter la notion d’inclusion au cœur d’un centre de culture scientifique, technique et industriel à Saint-Étienne, la Rotonde. Et pour aller plus loin, il nous faut aussi ouvrir les portes d’Explora, nouveau lieu porté par l’équipe. 

Avec une volonté marquée de vouloir « donner à chacun et chacune une place dans l’aventure », La Rotonde souhaite faciliter l’inclusion de toutes et tous dans sa programmation à Saint-Étienne. Centre de culture scientifique adossé à l’École des Mines, elle est un lien important entre les sciences et le public. Pour rendre les publics, et en particulier les plus jeunes, acteurs de leur propre éveil aux sciences, La Rotonde a imaginé Explora ; lieu innovant d’expérimentation, d’élaboration et de fabrication basé sur le « FAIRE » : autrement dit imaginer, créer, se tromper, analyser, et recommencer. Venue des USA, cette approche vise à mettre l’enfant au cœur de l’action : accompagné d’un médiateur ou facilitateur, c’est à lui de se poser les questions, d’essayer et de trouver les solutions pour réaliser un objet, répondre à un besoin ou encore comprendre un phénomène scientifique. Le but des structures comme la Rotonde et autres lieux de CSTI, selon la stratégie établie à l’échelle nationale, est de sensibiliser les enfants et adolescents aux sciences et ainsi développer un esprit critique plus affuté en ne s’appuyant pas sur leurs origines ou leurs appartenances socio-économiques.

Pour cela, Explora, qui ouvre ses portes en mai 2021, dispose de deux espaces : un espace extérieur avec des modules libres d’accès, un square interactif et scientifique, ainsi que l’espace intérieur qui regroupe les salles d’expérimentation et tous les outils nécessaires. Dans les deux espaces, le but est le même : découvrir et s’amuser avec les sciences ! Accompagnés de médiateurs, les enfants peuvent évoluer et tâtonner à travers un large panel d’ateliers au programme.  

Depuis octobre 2020, la Rotonde a créé un poste en partie financé par la Ville via le dispositif Cité Éducative et qui est dédié à l’inclusion à Explora : un point névralgique pour compléter la question d'inclusion sociale au cœur des préoccupations et des projets naissants. Il y a donc une réelle volonté de s’inscrire dans l’évolution de la société, de favoriser la diversité des productions scientifiques, de faciliter l’identification de tous et de sensibiliser aux stéréotypes sociaux.

Le parc et son choix d’emplacement reposent sur le diagnostic sociologique du quartier : Tarentaize-Beaubrun évolue aussi au côté de Cité Éducative, dispositif basé sur les possibilités d’avenir des enfants et adolescents de ce quartier. Ce nouveau lieu culturel doit donc aussi prendre en compte son environnement. Dès la naissance du projet, la notion d’inclusion a été soulevée par une volonté forte de la structure au départ, complètement soulignée dans le programme d’investissements d’avenir (PIA). On remarque cependant sur le terrain et au moment de la mise en place qu’il existe des priorités en termes de temps et de financements. Les équipes et porteurs de projets rencontrent alors des contraintes de délais, de livraisons, de commandes qui viennent prendre le dessus sur les objectifs de fond à travailler car ce sont des urgences à régler rapidement. Avec l’arrivée d’Explora, le quartier bénéficiera d’une revalorisation supplémentaire, à condition que les objectifs soient atteints. En effet, les enfants et adolescents doivent pouvoir venir s’approprier les lieux et se sentir bienvenus : Explora ne doit pas être un ovni placé ici, fréquenté uniquement par des populations aisées et déjà friandes de sciences. 

Concertation pédagogique avec les enseignants du quartier

Céline Neau, chargée de projets éducation aux sciences, ainsi que Guillaume Desbrosse, directeur de la Rotonde ont vu naître l’idée, les plans et la mise en place du chantier de ce nouveau projet. Ils sont tous deux au cœur des décisions et du pilotage des différents axes de réflexion.

Faire décoller une fusée, programmer un robot spatial, fabriquer de l’électricité, construire un monte-charge, voilà quelques exemples d'ateliers que les médiateurs développeront à travers une programmation culturelle diverse et variée. Pour les scolaires, le format d’atelier sera plus pédagogique et suivra des objectifs précis. Ce seront des formats de 2 heures, que ce soit pour le grand public ou les scolaires.

Dans les écoles du secteur, le travail sur les contenus et les ateliers s’établit depuis près de 4 ans : grâce aux enseignant(e)s très impliqué(e)s, l’équipe de la Rotonde a pu mettre au point des objectifs pédagogiques, des prérequis et une adaptation claire aux différents cycles et niveaux. Les élèves du quartier ont donc pu tester les différents ateliers au programme et connaissent maintenant très bien les médiateurs. Ceci peut donc être vu comme un premier pas vers les acteurs déjà implantés sur le terrain, pour les connaître et se faire connaître. C’est aussi une manière de se confronter à la réalité, comme le précise Céline Neau : « Nous n’aurions pas le même rendu si nous avions testé ces ateliers sur le grand public habituel de la Soucoupe ». En effet, le public de la Soucoupe (principal lieu d’exposition de la Rotonde) est un public habitué, informé et déjà curieux de sciences. Il s’agit donc d’investir les lieux et de mieux connaître le territoire pour pouvoir imaginer des projets en commun, tisser et resserrer les liens avec d’autres publics.

À mesure que les enfants grandissent — et dès le milieu de l’école primaire — leur temps d’école conjugué au travail professionnel ou domestique de leurs parents réduit le temps de loisirs en famille. Toutefois, le contexte diffère selon les classes sociales : à la Soucoupe par exemple, les médiateurs constatent souvent qu’enfants et parents partagent des activités ensemble. Alors différence selon les classes sociales ou simplement selon les occupations, l’appartenance socio-culturelle et métiers des parents ? Un autre défi à relever pour pouvoir réunir petits et grands en manque de temps, sur une pratique en commun à Explora. 

L’OCIM (office de coopération et d’informations muséales) dresse tout de même une tendance de plus en plus répandue pour l’inclusion sociale (de manière exploratoire ou totalement intégrée) et un rapport au visiteur qui évolue : on assiste davantage à une rencontre et un échange entre structures et visiteurs. Le but des structures revient donc à identifier un parcours inclusif, qu’il soit par tâtonnements ou avec de vrais axes d’exploitation, mais qu’il convienne aux acteurs et qu’il soit réalisable enclenche déjà une véritable machine vers le changement.

Rencontre et partenariats avec les structures d'éducation populaire

La Rotonde peut se féliciter d’avoir d’ores et déjà rempli plusieurs objectifs inclusifs. Les tests des différents ateliers ont été mis en place avec des enfants qui évoluent dans ce quartier et en fréquentent différentes structures comme l’amicale laïque, le centre social ou encore des écoles REP de Tarentaize Beaubrun.

Lors d’un entretien au centre social du Babet, situé au cœur du quartier Tarentaize, où des tests d’ateliers ont aussi été effectués, j’ai rencontré Linda, responsable du secteur enfants.  Elle insiste tout de suite sur l’originalité et l’organisation des ateliers qui a fait qu’ils ont été tous un joli succès ! Les ateliers ont plu aux enfants et les animateurs en ont fait de bons retours également. Elle nous précise aussi que lorsque les intervenant(e)s sont impliqué(e)s et touché(e)s, cela se « sent tout de suite ! » et facilite l’échange avec les enfants.

Après la phase de tests, et pour aller plus loin dans ce partenariat, l’équipe Explora a proposé d’établir des créneaux réservés à ce centre social tous les 15 jours et à prix réduits, voire gratuits. Une initiative que les responsables et animateurs apprécient grandement, puisqu’ils insistent sur leur volonté de développer de plus en plus d’aspects culturels dans leurs sorties (et notamment de s’ouvrir à celles en lien avec la culture scientifique !). Cela permet également une certaine régularité dans les rencontres et donc un maintien du lien entre professionnels. Ces premiers pas « vers » les habitants et les structures déjà existantes permettent de positionner Explora non pas seulement comme une nouvelle structure, mais comme faisant partie d’un maillage d’acteurs et de partenaires au cœur du quartier.

Pour le personnel de l’Amicale Laïque de Beaubrun, les places gratuites sont une bonne idée pour faire parler d’Explora, car cela permet d’instaurer un dialogue avec les familles. Pour s’inscrire dans la chaîne des partenariats et des échanges entre structures, l’équipe a donc proposé par exemple de former les animateurs et animatrices de l’Amicale à l’usage des machines qu’ils pourront ensuite venir utiliser à leur guise pour leurs propres animations. Dans un deuxième temps, les animateurs et animatrices sont aussi venus à la Soucoupe pour s’approprier les malles scientifiques et pouvoir par la suite les emprunter pour leurs ateliers dans leurs propres structures : un moyen, en premier lieu, d’accompagner leurs publics, enfants et adolescents vers des activités de culture scientifique pour ensuite peut-être leur donner envie d’aller voir ce qu’il se passe du côté d’Explora.



Grâce aux échanges avec les structures et les collègues, mais aussi aux différentes observations tout au long de mon stage puis de mon contrat, j’ai pu comprendre qu’un objectif peut être atteint s’il est alimenté par des échanges de points de vues, de pratiques professionnelles et de prise de recul sur l’ensemble des avis de chacun. Si beaucoup d’enfants issus de milieux populaires estiment que les sciences « ne sont pas faites pour eux », il s’agit d’un tout autre défi. En effet, on entre alors dans ce qui touche à leur confiance en eux, leur estime de soi. C’est donc en les guidant d’abord puis en leur laissant une liberté plus grande ensuite et un temps de création, de réalisation personnelle qu’ils auront l’occasion de montrer ce qu’ils savent faire. Mais avant tout, il faut aussi qu’ils aient accès à ces lieux.

Atteindre un objectif 100% inclusif est certainement illusoire, la volonté d’Explora est davantage de faire participer les familles, rendre les participants acteurs et intéressés, ainsi que valoriser et donner la parole.

Pour ma part, j’imagine et je souhaite que les structures naissantes laissent toutes un point d’entrée à la question de l’inclusion des publics puisque nous nous dirigeons de plus en plus vers ce type d’objectifs précis : donner à chacun et chacune une chance d’accéder aux savoirs, aux contenus et de faire ensuite son propre cheminement.

Rendez-vous le 19 mai 2021 pour l’ouverture d’Explora !